Retour sur résidence R

La lecture de retour sur résidence R. s’accompagne de la bande-son ci-dessous. Elle dure 9’49 et est très précisément synchronisée avec le texte. Sachant que 9’49 équivaut à 589 secondes et que l’article contient 689 mots, vous devrez passer environ 85% d’une seconde par mot, quelque soit la longueur du mot malheureusement – ce qui donne un rythme delecture plutôt lent, mais un peu moins à cause des images. Soyez prudents, il y a aussi des liens vers d’autres pages qui peuvent tout fiche en l’air.

Lunes 1

Robin R. Decourcy n’est pas ce qu’on imagine d’un artiste sonore. S’étant d’abord exercé dans d’autres domaines que le son (dessin, peinture, installation, danse, poésie), il n’a pas cultivé le “bon goût” du “bon son”, propre, bien enregistré, mais il privilégie l’expérience partagée : travailler sur la situation et le contexte d’écoute est sa manière à lui de frayer son chemin dans l’art dit “sonore”.

Pour commencer sa résidence à Euphonia (mars-juin 2008), il lui a fallu “préparer” le contexte de ses créations, au sens d’instrument préparé. Il a ainsi entrepris de transformer radicalement la grande salle de notre local, en la dotant d’une plastique et d’un éclairage nouveaux, afin de raviver l’espace et de le rendre plus favorable à accueillir des visites. La transformation du lieu laissait augurer d’autres mélanges de sensations visuelles et sonores. L’idée judicieuse de Robin fut de ponctuer son séjour à Euphonia de trois séances ouvertes au public et dédiées à l’écoute d’œuvres sonores, tout en invitant des amis plasticiens à exposer aux murs fraîchement repeints : Christophe Boursault, Matthieu Montchamp, Bart O Kristiansen, Hubert Suquet, Alexandre Gérard et Brut-le-Faux, nom sous lequel Robin lui-même officie.

Vers la transformation


Hôte s’étant fait hôte, Robin a convié lors de ces séances des artistes sonores de son entourage et du nôtre, à présenter leurs travaux personnels ainsi que des œuvres apportées par chacun. Pour mémoire et par exemple, auront été projetées des pièces de Robert Ashley, Éliane Radigue, Luc Ferrari, Jonathan Borowsky, Jaap Blonk et beaucoup d’autres.

Il y eut d’abord le 4 avril de 22h à 2h du matin, Lunes #1 avec Robin, Etienne Noiseau, Amélie Agut, séance d’où provient le mixage acoustique d’une pièce de Francisco López avec le ronflement d’un auditeur bienheureux que vous écoutez peut-être en ce moment. Le 16 mai aux mêmes heures, Lunes #2 a réuni François Parra, John Deneuve et David Bouvard. Par pur esprit de contradiction, l’ultime séance du 27 juin, Soleils #3, a pris part en plein jour à la méridienne et en extérieur, avec une contribution de Drygalsky et un concert percussions / vielle à roue de Pierre-Laurent Bertolino et Thomas Lippens.

Constitution même de la résidence, l’accueil d’autres amis/artistes et le renouveau du local, s’est résolu en un dernier geste convenu avec les plasticiens : laisser aux murs la trace quasi invisible (les cadres) des oeuvres accrochées. Juste avant cela, les voix de trois personnes qui visitent l’exposition dorénavant évanouie ont été fixées et montées par Robin dans Invisible 1.

Vers Invisible 1

Le cadre posé ainsi par Robin à sa résidence, a parallèlement donné le jour à d’autres travaux.

Achevée à Euphonia et dédiée à une diffusion au sein du réseau Radia, la composition Grenade est une pièce née d’un vagabondage artistique en Andalousie. Cousu à plusieurs mains en allers-retours, le résultat est d’une certaine sauvagerie qui fait écho au mot “brut” chez Brut-le-Faux.

Vers Grenade

Aboutissement de la résidence, Lettre au Mexique commence son histoire par notre désir commun – à Robin et à Euphonia – de renouveler les manières d’écouter une œuvre acousmatique à plusieurs. L’option d’une multiphonie potentiellement spectaculaire n’ayant pas été retenue, il a fallu penser à expérimenter un autre type d’activation de l’écoute. Ce fut pour Robin le choix de travailler sur une matière (les rushes dormants d’un voyage en Amérique Centrale) où l’errance était en quelque sorte seule conductrice – à l’image sans doute de la façon dont généralement on écoute. Comme toutes les propositions sonores de Robin, Lettre au Mexique est à la fois composée et ouverte. La divagation et l’assoupissement du public étaient permis. À la confluence de ses recherches en son, danse et installation, l’artiste a souhaité accompagner la diffusion de sa pièce par de petites attentions, opérer une scénographie en direct pour émailler l’écoute de balises infimes, de supports discrets. Le festivalier Pascal Bély était dans la salle et en a rapporté très élogieusement sur son Tadorne : « Lettre au Mexique [est] une œuvre rare, d’une intense fragilité, sensible au moindre mouvement du spectateur. (…) [C’est] une œuvre d’écoute active, une alchimie merveilleuse entre le son, le corps et l’espace. Je n’en suis toujours pas revenu. »

Vers Lettre au Mexique

Et enfin, vers R.R.D.C., ultime destination.

Etienne Noiseau