Oeuvre de Jozef Jankovic. Extrait du catalogue Apelacion (Challenge), une exposition d’œuvres d’artistes Slovaques conçue par Zuzana Bartosova.
En 2013, Marseille et Kosice auront destin lié. Essayons donc de mieux comprendre le contexte historique, politique et culturel de la Slovaquie. Rencontre avec deux personnalités engagées dans la vie de ce pays. Ladislav Snopko, proche de Vaclav Havel, a été l’un des protagonistes de la Révolution de Velours*. De 1990 à 1992, il a été Ministre de la culture de la Tchécoslovaquie. Il est actuellement Député de la Région de Bratislava. Zuzana Bartosova, elle, est historienne et critique d’art. Elle s’intéresse notamment à l’art « non-officiel » des années 1970-1980 et organise des expositions sur ces artistes que le régime communiste avait contraint à la confidentialité.
Ladislav Snopko : J’ai pu suivre la préparation de la candidature de Marseille Provence 2013. Parmi les villes françaises candidates, elle était la mieux préparée pour la collaboration avec la Slovaquie. Elle s’est notamment attachée les services d’un correspondant Slovaque, Peter Bu, ce qui démontre une volonté de travailler en profondeur avec notre pays. Et puis, Marseille Provence entretient déjà des liens avec la Slovaquie. Par exemple, en septembre 2008, la Chambre de Commerce et d’Industrie a présenté une exposition sur le V4, quatre pays de l’Est, La Slovaquie, la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie, qui ont développé d’étroites relations de partenariat. Cette initiative participe à une meilleure connaissance de cette région d’Europe.
Sur quelles bases pourraient porter la collaboration entre Marseille et Kosice ?
L. S. : Marseille et Kosice ont beaucoup de points communs. Marseille est à la frontière de plusieurs cultures et Marseille Provence 2013 met en avant la nécessité de renforcer les échanges avec la Méditerranée. Kosice est, elle aussi, située sur une frontière. C’est la ville la plus à l’est de l’Union Européenne. C’est la dernière ville catholique de l’Europe. Après Kosice commence le monde orthodoxe. Et comme Marseille qui s’intéresse à l’autre rive de la Méditerranée, la candidature de Kosice dresse un pont vers les pays, qui à l’Est, sont à la frontière de l’Union Européenne.
Quels regards portez vous sur la politique culturelle de la France ?
L. S. : La culture en France reste fortement soutenue par l’Etat. Quand j’étais Ministre de la Culture, Jack Lang était mon homologue français. Nos relations étaient très amicales. Je pense que les idées de Jack Lang ont été très importantes pour la construction culturelle de l’Europe. Après la Révolution de Velours nous avons du reconstruire la culture de la Slovaquie. Nous avons beaucoup échangé avec Jack Lang et nous avons appliqué plusieurs de ses idées. Nous avons également eu des rencontres très fructueuses avec le Président Mitterrand qui ont débouché sur la mise en place de projets concrets.
Actuellement, une autre politique est menée en France, mais la conception de Jack Lang influence toujours l’action culturelle de votre pays. La culture en France, malgré les changements de gouvernement, reste sanctuarisée. Alors qu’en Slovaquie, les politiques changent constamment.
Quel rôles ont joué les intellectuels dans la Révolution de Velours ?
L. S. : Cette révolution était avant tout portée par des artistes et des intellectuels. Ils étaient les seuls à être capables de traduire la volonté de changement. La culture pendant l’époque du totalitarisme était le seul parti dans l’opposition. L’Eglise aussi résistait, mais elle était clandestine, donc peu visible.
Zuzana Bartosova : Certains artistes étaient très engagés. Je pense notamment à Joszef Jankovic qui en novembre 68, juste après l’invasion des troupes soviétiques a participé à une exposition de jeunes artistes à Bratislava. Cet événement était relié à la Biennale de la Jeune Création à Paris. Joszef Jankovic a eu le premier prix pour une œuvre ouvertement politique. Il réalisait également des sculptures pour l’espace public. Le pouvoir s’est rendu compte du sens politique de ces œuvres. Elles ont toutes été détruites.
Les intellectuels n’étaient pas obligés de se cacher ?
Z. B. : La capitale de la Tchécoslovaquie était à Prague. Le pouvoir y était centralisé et la situation était donc beaucoup plus difficile pour les gens là-bas. La Slovaquie était un peu éloignée, donc moins surveillée. La situation était supportable. Nous avions des problèmes au travail, on stagnait professionnellement, certains ne pouvaient pas voyager, on se faisait arrêter et interroger par la police secrète… Mais peu d’entre nous ont fait de la prison.
Quelles incidences ont eu les événements politiques sur la vie artistique de la Slovaquie ?
Z. B. : Durant les années de plomb, il existait deux scène artistiques en Slovaquie. La scène officielle qui répondait aux exigences du réalisme socialiste soviétique et une scène non officielle dont la production restait libre et s’inscrivait dans les courants de la création européenne. Ces artistes non officiels organisaient des expositions clandestines et touchaient quand même un certain public. Cette situation a duré 20 ans. Après la Révolution de Velours, c’est cette scène non officielle qui a été mise en avant parce qu’elle faisait le lien entre les années 60 et la création contemporaine. Les jeunes artistes ont pu découvrir que, même durant le totalitarisme, la création n’avait jamais cessé. Il n’y avait donc pas eu de rupture, mais bien une continuité artistique entre les années 60 et aujourd’hui.
Propos recueillis par Fred Kahn
* La Révolution de Velours se déroula, en Tchécoslovaquie, du 16 novembre au 29 décembre 1989. Elle précipita la chute du régime communiste et marqua la fin des « années de plomb » entamées par l’invasion de l’armée du Pacte de Varsovie, 21 ans plus tôt.
Durant l’été 1968, l’URSS avait décidé de mettre un terme au Printemps de Prague, une période de l’histoire de la Tchécoslovaquie durant laquelle le pays connu une relative libéralisation. Le Printemps de Prague qui avait débuté le 5 janvier 1968, avec l’arrivée au pouvoir du réformateur Alexander Dubcek, s’acheva donc le 21 août avec l’invasion des troupes du Bloc Soviétique.
La Slovaquie est un État indépendant et souverain depuis le 1erjanvier 1993. Ce pays est membre de l’UE depuis le 1er mai 2004.