Le Livre de Frog, décembre 2014. Entretien avec Emmanuel Picaud autour de 2666, dernier livre de l’écrivain chilien Roberto Bolaño, roman-fleuve impressionnant à l’histoire éditoriale singulière.
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Le livre et l’invité du mois:
Libraire à L’Histoire de l’oeil à Marseille, Emmanuel Picaud nous a proposé une plongée dans 2666 (éditions Christian Bourgois, 2008), roman total accueilli comme un événement par les critiques, qui en ont fait un des livres les plus marquants du début du XXIe siècle. Publié en un seul volume – alors que son auteur, Roberto Bolaño, mort prématurément en 2003, souhaitait la publication séparée des cinq parties du livre – 2666 commence comme un (faux) polar, avec l’enquête menée par quatre universitaires européens sur un mystérieux écrivain pour lequel ils se passionnent: Benno von Archimboldi. Ne reculant devant aucun défi littéraire, Bolano sollicite constamment le lecteur dans ce roman où on retrouve du vaudeville, de la mélancolie, le tragique XXe siècle comme toile de fond historique mais aussi du roman noir, du macabre et de l’humour. On finit 2666 sans être certain d’avoir saisi toute la complexité, toute la profondeur, tout le mystère de cette totalité qui nous est offerte. « Quel héritage mystérieux » peut-on d’ailleurs lire à la fin du roman.
L’extrait du mois :
Bolaño transporte son lecteur à la frontière américano-mexicaine, frontière qui est traversée plusieurs fois, et dans les deux sens, par différents personnages. La quatrième partie du livre, La partie des crimes, s’inspire d’un fait divers qui s’est déroulé dans les années 1990 à Ciudad Juarez, ville frontière du nord du Mexique – que Bolano renomme Santa Teresa -, où plus de 330 femmes ont été assassinées.
Nous avons décidé de faire un clin d’œil à un des chefs d’œuvre du film noir: Touch of evil, autrement dit La Soif du Mal d’Orson Welles, sorti en 1958 avec Orson Welles, Charlton Heston, Janet Leigh et Marlene Dietrich etc… Souvenez-vous, Mike Vargas, un policier de la brigade des stups, en voyage de noces avec son épouse Susan près de la frontière américano-mexicaine, assiste par hasard à la mort de l’homme d’affaires Rudy Linnekar et de sa maîtresse dans l’explosion de leur voiture. Il décide de mener l’enquête avec le chef de la police locale, Quinlan, un homme pervers et corrompu, joué par Orson Welles. Très vite, leur collaboration tourne à l’affrontement car l’intégrité de Vargas se heurte à la malhonnêteté de Quinlan. Vargas ne se doute pas que c’est Susan, son épouse, qui pourrait en faire les frais.
Nous avons écouté la magistrale scène d’ouverture et ce fameux plan séquence de plus de trois minutes qui suit tout à la fois la marche du couple Vargas/Susan et le mouvement de la voiture de Rudy Linnekar qui s’apprête à passer la frontière et dans laquelle une bombe est cachée.
La chronique et les conseils du mois:
Comme d’autres oeuvres de la deuxième moitié du XXe siècle (Michon, Sebald, etc.) 2666 est pétrie de littérature. Autant de conseils de lecture, parmi lesquels : Les Vies imaginaires de Marcel Schwob (L’Imaginaire, Gallimard). Schwob, au début du XXe siècle a, avec ce livre (1896), amorcé le renouvellement du genre très ancien des vies. Nous vous conseillons notamment celle du Capitaine Kid, un pirate au long cours.
L’Ile au trésor de Stevenson, roman paru en 1883 où l’on retrouve un autre pirate, le fameux Long John Silver.
Rajoutons enfin, à propos du Mexique, Au dessous du volcan de Malcom Lowry paru en 1947 (Folio).
Plus récemment, Emmanuel Picaud nous conseille également Presque jamais de l’écrivain mexicain Daniel Sada (éditions L’Olivier, 2014) ou encore De certaines façons de mourir (Editions Cénomane, 2014, en cinq tomes) de l’écrivain salvadorien Rafael Menjívar Ochoa.