Par Marjolaine Bourdua
Silence Palmarès est une fiction radiophonique qui tente un croisement entre la musique pop et la culture sonore.
C’est une tradition médiatique : la fin de l’année se prête aux rétrospectives. Une dernière tournée avant de tout jeter aux oubliettes ! Alors que personne ne danse encore, quelqu’un vient de monter un peu plus désespérément le volume. Soudain, dans un des minuscules miroirs de la boule à facettes, j’entrevois – et je fixe – Silence Palmarès.
Silence Palmarès fut une émission mensuelle d’octobre 2007 à mai 2008 sur Radio Grenouille, conçue et animée par Marjolaine Bourdua, une émission comme une autre, où l’on parle, où l’on passe des disques… Sauf que.
“Vous écoutez le 88 virgule 8.” Pour un auditeur français, les codes langagiers que l’animatrice a amenés avec elle du Québec nous transportent d’emblée dans une quatrième dimension radiophonique, une réalité parallèle qui nous est familière sans que l’on puisse dire ce qui cloche. À l’image de la boucle, imparfaite, qui clôt en croche-pied le générique-titre de l’émission, toute la mise en ondes de Silence Palmarès est une expérimentation sur les limites de nos habitudes de consommation de la radio (qu’elle soit pointue ou populaire), comme la musique de masse. (À ce propos, l’émission réussit la prouesse de donner à entendre pop, dance, r’n’b, sur une radio qui y tourne généralement le dos.)
J’entends l’animatrice trier ses cassettes, puis chantonner sur la musique au moment où un coup de téléphone… ne vient rien interrompre mais se superposer à l’ensemble. Avec une sincérité rare, l’animatrice est une funambule qui glisse d’un personnage à un autre, sait très bien se mettre à la place de l’auditeur, joue avec son désir d’identification, se risque à changer de registre, se faisant plus intime, plus poétique ou plus distante. Qui est la personne qui nous parle ? Où se trouve-t-elle ? Que nous veut-elle ? Nous veut-elle vraiment quelque chose ? Est-ce bien à nous qu’elle parle ou bien se parle-t-elle à elle-même ?
Toute émission de radio est une fiction. Et dans Silence Palmarès, nombre de détails viennent nous rappeler de ne pas aveuglément nous fier à ce qu’on écoute… ou au contraire de reconsidérer notre relation à la radio, comme si c’était un objet d’attention, avec lequel on pouvait jouer et entrer en syntonie. Le blanc impromptu, le faux-pas technique, l’enchaînement improbable, le fou rire maintenant de l’animatrice, il n’y a rien qui ne soit plus réel.
Les espaces intérieur et extérieur s’échangent. Le studio devient de moins en moins sûr. De même la technique, mangeant régulièrement la parole à l’animatrice, semble décider à armes égales de la destinée de l’émission, de même Silence Palmarès nous apparaît dotée d’un mouvement autonome qui, mois après mois, la transforme en feuilleton à suspense où l’auditeur comprend qu’il risque de passer de l’autre côté du miroir à tout moment.
Si vous découvrez l’émission aujourd’hui, malgré d’éventuels hérissements pileux, il vous est conseillé de lâcher prise, car cela ne peut faire que du bien.
Etienne Noiseau, décembre 2008
Tous les épisodes sont archivés ici pour écoute :
Silence Palmares No1
Silence Palmares No2
Silence Palmares No3
Silence Palmares No4
Silence Palmares No5
Silence Palmares No6
Silence Palmares No7
Silence Palmares No8