Ulrich Fuchs est directeur adjoint de Linz 2009. Comment cette ville autrichienne a-t-elle obtenu le titre de capitale européenne de la culture ? Avec quels objectifs et perspectives ? Quels enseignements en tirer pour la candidature de Marseille Provence 2013 ?
Fred Kahn : Sur quels grands principes avez-vous construit la candidature de Linz ?
Ulrich Fuchs : Linz est une ville beaucoup plus petite que Marseille. Elle compte 200 000 habitants environ et contrairement à d’autres capitales européennes de la culture, je pense notamment à Liverpool ou Hessel, elle a conservé une importante activité industrielle, mais cette dernière est essentiellement basée sur les hautes technologies et la recherche. Donc, Linz est restée une ville du travail et n’a développé des activités culturelles qu’après la deuxième guerre mondiale. Le croisement entre la dimension industrielle et le développement culturel est l’un des axes du projet de Linz 2009. Nous nous sommes notamment appuyés sur le festival Ars electronica, une manifestation internationale consacrée aux arts numériques. Nous avons également développé une thématique historique. Hitler admirait Linz. Il y a passé sa jeunesse et il avait beaucoup de projets pour cette ville. Il envisageait d’en faire une grande capitale du Reich. Dans le même temps, la ville est proche de Mauthausen, le camp de concentration le plus important en Autriche. Nous avons abordé cette relation à l’histoire, la question du nazisme et du fascisme, les ruptures, mais aussi les prolongements aujourd’hui. Dès la fin 2008, nous proposerons une grande exposition historique qui confrontera Linz à son passé… Le Danube joue aussi un rôle important dans le programme. Linz est la seule ville en Autriche véritablement traversée par ce fleuve et nous présenterons des événements le long de ses berges…
F.K : Comment comptez-vous inscrire cet événement dans le temps ?
U.F : Linz 2009, c’est Linz 2015. La durabilité est essentielle. Le programme a débuté en 2008 et il continuera bien après 2009. Ce n’est pas un festival, mais un projet de développement pour la ville. Des investissements importants seront consentis dans des infrastructures. Ainsi, la Ville et la Région travaillent à l’élargissement du festival Ars electronica, un musée et un nouvel opéra vont être construits. 300 M€ vont ainsi être investis dans des équipements culturels. Un autre aspect important de la candidature : Linz n’est pas reconnue comme une ville touristique. Le titre de capitale européenne de la culture nous permettra de développer le tourisme en modifiant l’image de ce territoire qui, aujourd’hui, est perçu essentiellement comme un centre industriel et d’affaires.
F.K : Comment travailler à la fois sur la dimension internationale et sur l’ancrage local ?
U.F : La direction de Linz 2009 est extérieure à la ville. Cette distance est nécessaire. Quand je suis arrivé en décembre 2005, je ne connaissais absolument pas la ville. Les premiers mois, nous avons exploré le territoire et rencontré tous les acteurs de la ville. La question n’était pas d’intégrer toutes les structures culturelles dans le projet. L’activité artistique régulière de la ville continuera normalement en 2009, mais ce n’est pas ce qui attirera l’attention de toute l’Europe. Cependant, il est évident que la scène artistique locale attend beaucoup de ce titre de capitale européenne de la culture et tous les opérateurs ont voulu y participer. Les tensions sont inévitables. La difficulté consiste à intégrer des projets locaux à un projet de dimension internationale. Les opérateurs doivent se lancer le défi de se surpasser. Pour être retenus les projets devaient être artistiquement très exigeants. Nous avons eu près de 2 000 propositions et nous n’en avons retenu qu’une centaine. Cela crée forcément beaucoup de déceptions. Mais dans le même temps, nous avons développé des réseaux artistiques européens. 350 artistes de 45 pays sont en lien avec Linz 2009. Nous organisons notamment, trois festivals de théâtre et de danse avec des coproductions internationales. Par exemple, nous sommes associé à la trilogie que Guy Cassier a réalisé en 2007 et 2008 au Festival d’Avignon. Elle sera présentée à Linz en février 2009.
F.K : Vous avez également travaillé à la candidature de Brême 2010. C’est finalement Essen et la Rhur qui ont été retenues. Quels sont, d’après vous, les critères déterminants qui permettent à une ville d’obtenir ce titre ?
U.F : Initialement le titre de capitale européenne de la culture était attribué aux grandes métropoles : Florence, Paris, Berlin, Venise… L’événement passait plus ou moins inaperçu. A partir des années 90, ce ne sont plus les grandes capitales qui ont été choisies, mais des villes de moindre importance et en mutation. Le titre de Capitale européenne de la culture est devenu petit à petit un levier de transformation, car la culture est de plus en plus envisagée en tant qu’acteur du développement urbain.
F.K : Quel regard jetez-vous sur la candidature de Marseille pour 2013 ?
U.F : Marseille a contacté Linz 2009 très tôt. Le dossier marseillais est très solide. J’ai toujours eu beaucoup de sympathie pour Marseille, je trouve cette ville fascinante. Elle est fondamentalement internationale, avec une dimension euro-méditerranéenne évidente. Mais, je pense néanmoins que la candidature doit veiller à ne pas apparaître comme le porte drapeau de la politique de la France en Méditerranée, car il y a une certaine réserve des institutions européennes vis-à-vis du projet d’Union de la Méditerranée porté par votre Président de la République. Ceci étant dit, le jury est composé de treize experts, dont sept internationaux et il semble peu sensible aux pressions politiques. Je suis persuadé qu’il jugera les dossiers objectivement.
Propos recueillis par Fred Kahn pour Blog 2.013