Sur la piste animale

piste animale© SXC

Lorsque l’homme se rêve animal ou que les bêtes promènent leur regard sur notre monde d’humains, les frontières se bousculent entre ces deux règnes parallèles. Et nos représentations du monde animal se troublent…

De la notion d’animal-machine de Descartes, sans âme ni raison, aux tenants de l’éthologie actuelle qui étudient les comportements -voire les affects- des animaux, l’histoire des relations homme-animal est foisonnante et polémique. « Tout animal a un monde », ce qui n’est pas le cas de tous les humains, disait Deleuze.

Alors qu’une thématique « Sur la piste animale » -initiée par Peuple et culture Marseille- vient d’être programmée au Polygone étoilé (avril 2008), revisitons ce duo homme-animal à la lumière des expériences marseillaises récentes de Yannick Dauby dans les archipels du Riou et du Frioul et d’Olivier Darné qui fête l’inauguration de son Rucher sur le théâtre du Merlan le 14 mai 2008. Car « l‘histoire de l’homme pourrait se raconter selon la déclinaison de ce rapport». (Jean-Christophe Bailly, Le versant animal, 2007, Ed. Bayard).

En se posant la question du rapport à l’altérité dans le cycle de films documentaires « Etrange étranger », l’association d’éducation populaire Peuple et culture Marseille a suivi pendant quelques jours cette mystérieuse piste animale…

La thématique « Sur la piste animale » est partie de cette proposition : l’animal comme figure d’altérité. Une manière de s’interroger sur nos terrains de rencontre et d’évitement. Dans les pièces du « sound recordist » Chris Watson on s’aventure dans les mondes de la vie sauvage et des phénomènes naturels.

A écouter : Une pièce radiophonique de Chris Watson tirée du disque Outside the Circle of Fire (label Touch Music) pour lequel il a collecté des cris d’animaux aux quatre coins du monde

Le sommeil du guépard, enregistré par Chris Watson [1’51 »]

Avec le film Grizzly Man de Werner Herzog (USA, 2005) visionné lors de cette thématique, la question des frontières entre les hommes et les animaux se manifeste d’une façon particulièrement dramatique. Dans ce documentaire, on part sur les traces d’un passionné de grizzlys, Timothy Treadwell, qui a vécu treize étés aux côtés de ces ours en Alaska, s’en est rapproché dangereusement avant de finir dans l’estomac de l’un d’entre eux. Le parcours de cet écologiste illuminé qui se prend pour un animal (ou bien prend-il les animaux pour des hommes?) renvoie à une relation à l’animalité très affective et proche de l’anthropomorphisme.

Dans une autre approche, on peut considérer la part mythologique qui lie les bêtes aux hommes à travers les métamorphoses ou les passages d’un état vers un autre. Le symbolique et l’imaginaire entrent alors en jeu. L’animal devient celui qui est capable de transporter l’âme humaine. Vision universellement présente dans les rêves, les contes populaires et toute la littérature.

Et puis il y a l’animal en tant que regard sur le monde, sur nous. L’altérité devient expérience sensible, on ne cherche plus à se défaire de ce sentiment d’étrangeté qui peut naître face aux animaux. Ni biodiversité, ni anthropomorphisme, on s’intéresse ici au côtoiement entre l’homme et l’animal, dans le sillage du philosophe Jean-Christophe Bailly qui invoque le poète Rilke : « Ou bien il arrive qu’un animal, muet, lève les yeux, nous traversant de son calme regard » (dans la huitième des Elégies de Duino). Pour Yannick Dauby et Marc Namblard, tous deux preneurs de sons, l’environnement et la nature constituent ainsi la base de leurs « paysages sonores ».

A écouter : Ulu Lone de Yannick Dauby et Marc Namblard : Est-ce l’homme qui résonne dans son environnement ou le contraire?

La pièce sonore Ulu Lone de Yannick Dauby et Marc Namblard [25’21 »]

Côtoiement, proximité, interactions : quand leurs territoires et habitats coïncident, les liens entre les animaux et les hommes se resserrent. De nouvelles facettes de cette relation, propres au milieu urbain, se font jour.

Et si l’environnement sonore et les émissions animales nous renseignaient sur les constructions urbaines en révélant une nouvelle cartographie de la ville…?

A Marseille, Yannick Dauby, avec Etienne Noiseau du studio de création sonore Euphonia, a mené un atelier de création sonore sur les archipels du Riou et du Frioul en avril 2008. L’occasion de découvrir la spécificité de l’environnement naturel de ces îles méditerranéennes à travers l’écoute de la faune locale et la prise en compte des interactions avec les activités humaines. Cette création sonore collective sera présentée le dimanche 25 mai 2008 lors du festival Engrenages, organisé par Radio-Grenouille à Montevidéo.

Pour les abeilles d’ Olivier Darné, le 14 mai 2008 est un grand jour. C’est l’inauguration du Rucher sur les toits du théâtre du Merlan, un projet de « pollinisation de la ville ». Cet apiculteur-plasticien compte essaimer à travers Marseille, élaborer une cartographie gustative de la ville et reproduire ici ses expériences de Seine-Saint-Denis. Dans la banlieue parisienne, ce « graphiculteur » a disposé des ruches dans l’espace public, sur les toits de la mairie et même sur les trottoirs. En ré-invitant la nature dans l’espace urbain, en organisant des communautés d’humains autour de communautés d’abeilles (avec des temps d’observation collective de chorégraphies d’abeilles), c’est également la perception des hommes à l’égard des abeilles qui se transforme, la peur cédant à la curiosité.

Mais surtout, le miel de ces abeilles des villes -très productives- s’est révélé d’une grande complexité aromatique. L’analyse pollinique a mis à jour 250 pollens de fleurs différentes, pour une moyenne de 10 à 15 pollens dénombrés habituellement en campagne. En Seine-Saint-Denis, ville marquée par une forte immigration et où les graines voyagent donc très vite, c’est une véritable histoire de la ville et des migrations que nous racontent ces abeilles urbaines. Une relecture de la piste de l’homme et de son installation à partir de l’animal se dessine progressivement. Olivier Darné participe aussi à une étude précieuse du CNRS : trois ruches-témoins ont été placé en zones urbaine, péri-urbaine et rurale dans le but de comparer des écosystèmes différents et pouvoir ainsi mesurer l’influence de l’homme sur les communautés d’abeilles et l’environnement en général.

Célia Pascaud