Stéphan Muntaner est plasticien, illustrateur et affichiste. Il crée des visuels pour des structures artistiques et culturelles (Lieux Publics, le Merlan, Iam, mais aussi Découflé, la ville de Nantes ou du Havre…) Mais, il développe également un travail très personnel. Dernier exemple en date : Vacances à Plan de Campagne ; un carnet de voyage de 10 jours au Formule 1 de la plus grande et plus ancienne zone commerciale de France. Que la commande soit graphique ou artistique, Stéphan Muntaner mixe informatique, photo, vidéo, volume, image et geste… Le point de vue qu’il délivre sur Marseille est à la fois poétique, drôle et impertinent. Alors que lui inspire cette ville ?
Comment caractériserais-tu Marseille ? En tant que source d’inspiration, es-tu plus particulièrement sensible au rythmes ou peut-être aux couleurs de cette ville ?
Stéphan Muntaner : Au-delà de lumière et du rythme, Marseille m’apparaît comme une ville incroyablement bancale. Elle a soi disant 2600 ans alors qu’architecturalement, à part quelques vestiges et quelques rares monuments, on a l’impression qu’elle est toute récente. Ici, détruire ce qu’il y avait avant ne pose pas de problème. Sociologiquement aussi, elle s’est construite par vagues successives, comme si une vague pouvait effacer la précédente. Ici, on a l’impression que tout est toujours à recommencer.
Par ailleurs, c’est une ville du langage et des mots. Mais aussi de signes et de paroles écrites qui s’accumulent. Par exemple, c’est l’une des seules villes où tu trouves autant de vieilles enseignes sur les murs. Parfois même, les gens ne changent pas l’enseigne et se contentent de réinscrire dessus, à la peinture, la nouvelle affectation du lieu. Cette fainéantise crée un véritable patrimoine typographique. Ces ratures dans la ville sont très symptomatiques. Cette ville me fait vraiment penser à un brouillon. Elle n’a rien à voir avec une copie soignée comportant zéro faute. Ce n’est pas la Suisse quoi.
Tes images sont souvent très bigarrées. Peut-on y voir un lien avec le fameux cosmopolitisme marseillais ?
S. M. : Marseille n’est pas une ville où les gens se mélangent… Le brassage des populations est un mensonge vendu au touriste. Par contre, ça tient et n’explose pas. Les gens ne se mélangent pas, mais ils se côtoient. Les choses sont tellement morcelées qu’elles peuvent se juxtaposer plus facilement. C’est sans doute ce qui crée cet effet de mosaïque. D’où, cet état d’esprit particulier, un peu baroque.
Mais comment utiliser ces stéréotypes sans pour autant tomber dans les clichés et les lieux communs ?
S. M. : Tu as toujours des images et des mots en tête quand tu penses à un territoire précis. Mais encore faut-il que ces représentations correspondent à la réalité, sinon, en effet, tu produis des clichés. Le meilleur moyen d’éviter ce piège, c’est encore de bien connaître l’endroit dont tu parles tout en essayant d’avoir le moins d’a priori possible. De même, que Marseille est une ville médiane, entre la mer et la terre, le nord et le sud, mes images se situent toujours entre plusieurs significations.
Je travaille aussi sur l’humour, en essayant là aussi de proposer différents degrés. La galéjade, la taquinerie marseillaise qui ne seraient pas de la caricature. J’essaie souvent de revisiter la tradition de manière contemporaine. En ce moment, je travaille à la fois pour le Théâtre du Merlan, pour la Chambre de Commerce de Marseille et pour la compagnie de Provence. J’aime construire des relations entre le contemporain et le référentiel.
Comment construis-tu tes images ?
S. M. : Une image suggère toujours un avant et un après, donc une histoire. Elle doit être suffisamment ouverte, proposer des échappées pour que chacun puisse y projeter ses propres histoires. J’ai l’impression que les images qui fonctionnent, au-delà du style visuel ou graphique, sont des images clés qui racontent une action dont on ignore les tenants et les aboutissants. Les gens peuvent se l’approprier, car ils peuvent reconstruire un cheminement. Et puis, il existe ici beaucoup d’images inscrites dans l’inconscient collectif, mais qui pourtant n’ont jamais existé. La difficulté consiste à leur donner une forme.
Marseille a aussi la réputation d’être une ville en crise. Comment réussir professionnellement dans un tel contexte ?
S. M. : Il est peut-être plus facile de se faire remarquer dans un territoire aussi aride ? De toute façon, il n’est pas question de travailler uniquement pour cette ville. Il faut aussi s’expatrier. Marseille est un port ; c’est une invitation constante à aller voir ailleurs.
Marseille dans cinq ans ?
S. M. : L’avenir artistique de la ville dépend beaucoup du fait d’être ou non capitale européenne de la culture en 2013. Il existe tout d’abord un enjeu qui consisterait à faire de cette ville une véritable capitale euro-méditerranéenne, ce qui correspondrait à une réalité politique, historique et sociologique. Etre capitale européenne de la culture en 2013 ajouterait une dimension supplémentaire. Mais sans l’addition de ces deux éléments, à mon avis, il n’y aura pas l’impulsion nécessaire pour vraiment passer un cap.
Propos recueillis par Fred Kahn