Panthéon sauvage #2
Station sanitaire construite au Vieux Port en 1948, « le paillasson de Marseille »
Dandy, businessman et mystique accompli, Fernand Pouillon, figure incontournable de la reconstruction d’après-guerre, entre après Pythéas dans notre Panthéon sauvage.
Érige-t-on un monument en l’honneur d’un architecte ? Fernand Pouillon a déjà modelé une partie significative du centre-ville marseillais – 20 bâtiments au total, sans compter tout le quartier du vieux Port, côté mairie. Plutôt que de proposer un nouveau monument, si nous commencions par voir ceux qui sont déjà là ? Comme par exemple la « Station sanitaire », coincée entre la Major et le fort Saint-Jean.
Destiné à contrôler l’état de santé des immigrants, essentiellement des maçons maghrébins, de l’immédiat après-guerre (1948), la station sanitaire, également appelée « le paillasson de Marseille » a été un point d’entrée dans la ville, dont la fonction est comparable à celle d’Ellis Island à New York.
Douze après ce bâtiment emblématique de la fin de l’Empire, Pouillon traversera la Méditerranée, et passera dix ans en cavale en Algérie suite à des ennuis avec la justice française. En Algérie, il construira 148 bâtiments, se convertira à l’Islam et écrira ses deux principaux ouvrages, dont Les Pierres sauvages, l’autobiographie fictive d’un maître d’œuvre cistercien, architecte de l’abbaye du Thoronet, aux prises avec les pierres, la forêt et la mort.
FERNAND POUILLON / DÉCEMBRE 2008 / # 2
Dossier d’admission au PANTHEON SAUVAGE
Pourquoi lui ?
L’architecte Fernand Pouillon, héritier revendiqué d’Auguste Perret, acteur éminent de la reconstruction d’après-guerre, a conçu entre 1936 et 1960 une importante quantité d’immeubles dans le centre-ville de Marseille (21 au total) et une masse considérable de bâtiments en Algérie (148). Additionnées entre elles, ses constructions forment un ensemble équivalent à une ville de 250 000 habitants. Beaucoup de constructions, beaucoup d’affaires : avec Pouillon, on est aussi dans le quantitatif.
Dandy et homme de foi, moine et homme à femmes, pas indifférent au luxe et fasciné par l’austérité, profondément monothéiste et irréductiblement panthéiste, chrétien et musulman, artiste et businessman, Fernand Pouillon ne provient pas de l’Antiquité grecque et logique, mais de la profondeur d’un Moyen-Âge aux prises avec le diable et le défrichage des bois. La modernité de Pouillon, à la différence de celle de Corbu, est une modernité enracinée dans nos forêts et dans nos mystères. L’haleine est plus épaisse ; l’ivresse est aussi forte.
Ce bouillon du démon, qui avait pour la loi des hommes le mépris vague que l’on peut accorder aux conventions sociales, revendique une double inspiration culturelle : « Je suis, disait-il, indissociablement aristocrate et canaille ». Aussi bien son goût de l’ordre fait fond sur son sens du chaos. « Les blocs brut arrachés au sol, calibrés et burinés, deviennent matériaux nobles. Nous, moines cisterciens, ne sommes-nous pas comme ces pierres ? Arrachés au siècle, burinés et ciselés par la Règle, nos faces éclairées par la foi, marquées par nos luttes contre le démon. » (Les Pierres sauvages)
L’ancien étudiant de l’école des Beaux-Arts de Marseille, originaire du Sud-Ouest de la France, a passé dix ans en cavale en Algérie après avoir été inquiété par la justice française pour l’organisation jugée trop personnelle de son travail et de ses finances. Au moment où la guerre d’Algérie prend fin, Pouillon quitte la France avec l’aide du FLN. C’est là qu’il se convertira à l’islam, et écrira ses Mémoires et les Pierres sauvages.
Dandy communiste, bandit religieux, musulman d’Europe, Fernand Pouillon intègre à l’unanimité du jury, après l’astronome Pythéas, le Panthéon sauvage, pour avoir laissé à Marseille la trace monumentale d’une modernité sauvage.
Terrasse de la bilbliothèque universitaire (BU) de Saint-Charles
Pourquoi ça ?
Le Panthéon sauvage, refuge des dieux, n’est pas un endroit où l’on “entre”, mais plutôt une multitude de lieux de plein air. Le monument à Pouillon consiste en la valorisation de la station sanitaire, située entre le fort Saint-Jean et la cathédrale de la Major (construite en 1948). Voici ce qu’en disait en 1999 Sylvie Denante, de la Drac Paca Crmh (Direction régionale des affaires culturelles).
« Les aménagements intérieurs ont fait l’objet, dans la mise en œuvre et le choix des matériaux, d’un soin extrême : sols en pierre polie ou en grès, parois du hall sud en pierre dure, comptoir d’accueil décoré de faïences de Pierre Sourdive, comptoir de sortie en bois d’une grande élégance, de même que le dessin de l’escalier sud. La station sanitaire constituant à sa livraison une sorte de prototype, les installations techniques furent très remarquées.
Le bâtiment est une des premières réalisations de la maturité de Pouillon, préparant en quelque sorte son intervention capitale dans la reconstruction du Vieux-Port. Sur le plan urbain, sa position charnière entre ville et port, la maîtrise de la composition entre deux monuments historiques et l’utilisation des contraintes sont à signaler.
Enfin, sur le plan de la fonction, le bâtiment s’inscrit dans la tradition médicale, et plus particulièrement de contrôle sanitaire de Marseille : la ville a longtemps été à l’avant-garde dans ce domaine, en tant qu’accès en métropole.
La station sanitaire est actuellement désaffectée et dans un état très préoccupant. »
Village construit par Pouillon à Tipasa (Algérie)
En savoir plus
Liste de tous les bâtiments construits par Fernand Pouillon sur le site de l’Association Les Pierres Sauvages de Belcastel
Baptiste Lanaspèze