Post-campagnisme

Guylaine Idoux explore la zone sauvage de Plan de Campagne

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Photographies et montages Stephan Muntaner

Au nord de Marseille, le long de l’autoroute d’Aix, à cheval sur 4 communes, une zone sauvage de 600 ha attendait d’être découverte. Pendant une semaine, en plein mois d’août, Guylaine Idoux est partie en vacances avec son compagnon Stephan Muntaner dans l’hôtel Formule 1 de la plus ancienne zone commerciale de France : Plan de Campagne.

Monument historique, témoin emblématique de la constitution de la ville post-industrielle, Plan de Campagne est né dans les sixties, suite à l’idée d’un certain Emile de vendre quelques terrains agricoles pour faire de la vente discount.
Dans son carnet de bord, Guylaine Idoux nous livre quelques morceaux choisis d’un mémoire de sociologie qu’elle lit dans son lit de l’hôtel Formule 1.
« Plan de Campagne nous raconte l’avènement de la ville, nous renvoie aux rencontres nomades au carrefour des routes lointaines, aux marchés forains, aux portes des villes du Moyen-Âge et de la Renaissance, aux faubourgs du 19e siècle. L’installation sauvage, sur des terrains privés, précède la définition de l’espace public et des règles qui l’encadrent. La ville est sauvage, Plan de Campagne nous le rappelle. »

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Comment est venue l’idée de partir en vacances à Plan de Campagne ?
L’été approche, et tout le monde te demande où tu pars. Autour de toi, on te parle Japon, Népal, Amérique du Sud. Et tu es censé éprouver un respect proportionnel à la distance. Il y avait dans tout ça un côté « trophée » agaçant.
Pour avoir beaucoup voyagé, j’en suis venu à réaliser que le voyage est d’abord un bien de consommation comme un autre. Le voyage, c’est ce que tu en fais. En contre-pied à la célèbre formule de Nicolas Bouvier « C’est le voyage qui vous fait », j’ai tendance à dire que c’est toi qui fais le voyage.
En réaction à tout ça, on a commencé à réfléchir à l’idée de partir en vacances tout près, juste à côté, dans un endroit où personne ne mettrait les pieds. On a évoqué Plan de Campagne : c’était drôle, c’était justement la société de consommation dans toute sa splendeur. C’était aussi le truc le plus décrié dans le milieu bobo qui est le nôtre. Au-delà de l’idée de prendre le contre-pied des habitudes de notre milieu, il y avait aussi le côté, qui m’a toujours plu, « exploration du quotidien ».
Cette façon contemporaine de voyager, dans les milieux aisés, repose sur une conception de l’exploration qui me semble relever d’un autre âge. Depuis le 19e siècle, le rapport au temps et à la planète a totalement changé. On n’explore plus la même chose, ni de la même façon.
Plan de Campagne, c’était d’abord une cohorte de clichés – plutôt négatifs. Mais il y avait aussi ce côté très popu qui me plaisait beaucoup. Une sorte d’exotisme à peu de frais.
On a commencé à dire autour de nous qu’on allait le faire… Partir en vacances en couple une semaine à Plan de Campagne. Ca suscitait un intérêt incrédule – donc il a bien fallu qu’on le fasse. Mais plus l’échéance se rapprochait, plus je regrettais d’avoir lancé cette idée.

Plan3Est-ce qu’il y eu de vrais bons moments ?
Le premier jour a été saisissant. C’était un lundi, tous les magasins étaient fermés. Et il y avait beaucoup de mistral : partout des sacs plastiques volaient dans les airs. Tout ça avait un côté hyper Far West moderne. Et puis on s’était mis en situation d’ « exploration », on avait cette disponibilité mentale propre au voyage. Ce lieu étrange, avec ces buissons de milieux désertiques qui ressemblaient à des stinifex, me rappelait l’Australie ou les Etats-Unis.
Pendant dix ans de ma vie, j’ai voyagé jusqu’à l’overdose. Eh bien ce jour là en arrivant à Plan de Campagne, il y avait vraiment de l’étrangeté, de la poésie – aussi forte qu’à Hong-Kong ou qu’en Thaïlande. Tu te sens tout aussi décalé, tout aussi ailleurs. Tu es absent à ton monde. Bref, tu es en voyage !
Ce que tout ça mettait en évidence, c’est que le voyage, ça n’est pas tellement lié au déplacement. C’est bien davantage une histoire de monde intérieur.
Une deuxième expérience intéressante a été cette sensation de fatigue qu’on avait en permanence. Stephan [Muntaner] a trouvé pourquoi : parce que notre regard était sans cesse sollicité. Ton environnement est constitué d’une abondance agressive d’écritures en tous genres. Pour moi, ça a été une petite révélation, une clef de lecture du monde urbain en général, et de l’état dans lequel on peut se sentir en ville, selon les villes et le type d’urbanisme.

PlanbisEt puis il y avait tout le côté humain. Les rencontres fréquentes avec tout le monde – le serveur du Quick, le responsable de la sécurité, qui étaient parfois des gens charmants. La plupart du temps, quand on va dans ces endroits, on est fatigué, on veut juste être tranquille, on se referme. Mais il y exactement le même potentiel humain que n’importe où ailleurs !
Le plus bizarre dans tout ça, c’est que non seulement on s’est vraiment sentis en voyage, mais on a passé de bonnes vacances ! Et ce qu’on en a fait  a suscité un intérêt bien au-delà de ce qu’on pouvait imaginer. Plus de 3000 personnes ont vu l’exposition !

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Ni ville ni campagne, comment décririez-vous ce lieu ?
Si, pour moi, ça relève de la ville. Comme une ville moderne qui pourrait être totalement autonome. Une ville-village par certains côtés – les gens qui travaillent là se connaissent tous. Une sorte de village hyper moderne, une mini-ville jetable. Quelque chose de très marqué années 1980-2000 (bien qu’en fait, ça date des années 1960). Un peu le reflet inverse de ces villes à l’orée des villes, ces villes-dortoirs. Ici, tu ne passes que la journée, et tu t’en vas le soir. Même si ça fonctionne aussi comme lieu de vie – on l’a testé !
Un lieu à la fois très moderne – par le bâti, les produits vendus – et très ancien – par le côté place de commerce, marché, caravansérail. Quelque chose qui répond à un besoin de rassemblement et de commerce très ancien.
C’est comme un cœur battant à l’entrée des villes, dont il faut prendre la mesure, et surtout pas sous-estimer. J’ai été assez étonnée de constater qu’il y a des lotissements qui se construisent autour de Plan de Campagne. Pour plein de gens, c’est un pôle d’attraction. Chaque jour, des milliers de gens viennent aussi juste pour se promener, boire un verre, aller quelque part.
Un lieu sauvage dans son aspect urbain, et en même temps très fonctionnel, qui nous ramène aussi à des choses archaïques.
Je garde de ces vacances un souvenir nostalgique, une tendresse. Depuis, on n’y est jamais revenu. Je ne veux pas y retourner. Je ne veux pas gâcher mes souvenirs de vacances.

Propos recueillis par Baptiste Lanaspèze

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