Marseille Transit

Théâtre de vagues successives de migrations, le quartier de Belsunce, dans le centre ville, nous raconte l’histoire de l’immigration de Marseille… et de la France.
Partant de cette observation, le réalisateur Gerry Meaudre articule son documentaire « Marseille Transit », autour des empreintes laissées par ces flux de populations immigrées au cours du siècle dernier à Belsunce. Traces du bâti, des plans anciens, des hôtels, cafés, monuments… nous sommes également partis à leur rencontre lors d’une balade sonore en compagnie de Mo Abbas, assistant à la réalisation de « Marseille Transit ».

Extrait vidéo du documentaire de Gerry Meaudre : http://youtu.be/ymsTVEWulVc


« Marseille Transit », à l’origine, faisait partie d’une collection de cinq films documentaires sur l’histoire de l’immigration en France commandée par la Cité de l’Immigration (pour l’inauguration du musée fin 2007) et la chaîne France 5 (qui l’a diffusé en avril 2008).

A écouter : Le réalisateur Gerry Meaudre, interrogé par Célia Pascaud, développe sa vision du nouveau musée de l’histoire de l’immigration

Le point de vue de Gerry Meaudre sur la Cité nationale de l’histoire de l’immigration [3’45 »]


Le projet initial proposait une lecture des flux migratoires au travers des villes portuaires françaises. Vaste sujet, impossible à traiter en un seul film. Sur les conseils de l’historien Emile Témime, auteur de l’ouvrage « Marseille transit : les passagers de Belsunce » (Ed. Autrement, 1995), Gerry Meaudre a recentré l’attention du film sur le quartier de Belsunce.

Situé stratégiquement entre le port et la gare, Belsunce a longtemps été une zone de transit, voire un « sas d’entrée » dans la ville, pour tous ces migrants venus de l’Est et du Sud. A la fin du XIXème siècle, Marseille est une véritable plaque tournante de la migration méditerranéenne. Les émigrants italiens -Piémontais, Toscans ou Napolitains- sont les plus nombreux, constituant une masse de main-d’oeuvre sans cesse renouvelée. « En 1914, les Italiens présents à Marseille sont près de 100 000 (un habitant sur six) » écrit Emile Témime. Après la grande guerre, c’est au tour des travailleurs coloniaux d’Afrique du Nord d’échouer sur le port marseillais, mais aussi à un grand nombre de réfugiés politiques. Après les Russes blancs et les Grecs, bientôt les Arméniens atteignent la cité phocéenne, fuyant le génocide turc. Avec la fin des colonies, ce sont les « rapatriés » puis les travailleurs immigrés en provenance du Maghreb et d’Afrique subsaharienne qui viennent fouler les docks de la Joliette, suivis depuis par des émigrants du Sud-Est asiatique.

L’histoire de Belsunce raconte ainsi une partie de l’histoire de France. Chaque changement de population dans le quartier renvoie à des périodes de la politique et de l’économie française : guerres, révolution industrielle, empire colonial…

A écouter : Gerry Meaudre détaille les différentes vagues de l’immigration marseillaise

Les vagues successives de migrations à Belsunce [2’23 »]


Toutes ces communautés, en s’installant à Belsunce, ont développé une économie et un commerce propre au quartier. Les étals baroques, tissus et vêtements débordant sur les trottoirs, sont encore des images familières à Belsunce. Le quartier demeurait pourtant lieu de passage, où les migrants résidaient quelque temps, avant de s’éparpiller dans le tissu marseillais. « Quitter Belsunce, c’est aussi une façon d’abandonner sa condition d’immigré. » (Emile Témime).

Mais depuis les années 80, ce quartier multiculturel a peu à peu abandonné cette vocation de transit, pour devenir un quartier urbain classique. On assiste à une réhabilitation des immeubles vétustes et insalubres. La réputation sulfureuse acquise au fil des ans s’estompe; « c’est un quartier refroidi » constate un habitant.

A écouter : Gerry Meaudre soulève les contradictions de la politique de réhabilitation à Belsunce

L’évolution actuelle du quartier de Belsunce, par le réalisateur Gerry Meaudre [4’24 »]


L’évolution rapide du quartier de Belsunce est à double tranchant. Comment réhabiliter le quartier sans en chasser les populations les plus pauvres ? « Si, sous prétexte de rénover le centre-ville, on en vient à écarter ces populations-là, ce lien ténu qu’il y a entre la périphérie et le coeur de la ville peut se rompre » s’inquiète l’historien Pierre Echinard. « Et on risque d’être en présence d’une population hostile, où les uns sont contre les autres. Comme ça existe dans d’autres villes. » En balayant toute identité populaire dans le centre-ville de Marseille, ne risque-t-on pas de provoquer de nouvelles tensions sociales dans un futur proche ?


Photos de Mo Abbas