Mari Mira – Marseille révélée par l’Art contemporain

Légendes, clichés et recyclages

par Marc Voiry

Mp3/marimira Rosmini.

Plateau radio organisé à Mari-Mira, à l’invitation des Pas Perdus, autour du livre du philosophe marseillais Marc Rosmini « Marseille révélée par l’art contemporain », et du livre « Mari-Mira » de Brice Matthieussent, professeur d’esthétique à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Marseille.

En compagnie des deux auteurs, et des artistes Guy André Lagesse, Pascale Stauth et Claude Queyrel, Sylvie Reno, Pascal Neveux, directeur du Fonds Régional d’Art Contemporain Paca, et Olivier Bedu, architecte.

 


Marc Rosmini – Marseille révélée par l’art

marseille_art_contemporain_rosminiA mi chemin entre la philosophie, l’histoire de l’art et la sociologie, Marc Rosmini, s’est attaché à revisiter Marseille, ses clichés et ses mythes, à l’aune de quelques œuvres contemporaines. Ces travaux, parce qu’ils transcendent les catégories, élitistes et populaires, vulgaires et savants, offrent un décryptage inédit des contradictions qui animent cette ville. Marc Rosmini ouvre ainsi une voie d’accès à l’art contemporain. Les codes et les références de la création artistique ne sont plus inaccessibles au grand public, mais au contraire sont profondément en prise avec la réalité quotidienne. Ce changement de perspective participe d’un mouvement de rapprochement entre l’art et la vie.

Dans votre essai, Marseille révélée par l’art contemporain, vous faites émerger une spécificité artistique qui se nourrit des clichés de cette ville. Or les poncifs sont toujours simplistes et réducteurs. Comment éviter la caricature et produire des œuvres singulières ?

Marc Rosmini : Tous les poncifs rattachés à un lieu et à une culture ne sont jamais totalement infondés tout en étant toujours réducteurs. Les œuvres que je mets en avant ne font pas que citer ces poncifs, mais les détournent, les transcendent. Les artistes qui produisent ces œuvres se situent dans un premier degré et demi vis-à-vis de ces clichés, ni dans la dérision, ni dans la totale adhésion. Le cliché, dans notre ville en particulier, est rattaché à la culture populaire. Ces œuvres se situent donc à la limite entre le populisme et l’élitisme. Entre des travaux qui sont ostensiblement faits pour ne pas être compris par le grand public et des productions qui ne font que conforter ses attentes. Ces œuvres permettent de prendre conscience de la complexité de la réalité. Le titre du livre est d’ailleurs ambigu : c’est à la fois la ville qui révèle l’art et l’art qui révèle la ville. C’est un vieux thème bergsonien de considérer que l’art a pour fonction de révéler le réel. Or, les poncifs, les légendes et les mythes sont aussi constitutifs de ce réel.

En tout cas, ce territoire possède une identité très forte, un terreau riche dans lequel les artistes peuvent puiser pour affirmer leur propre singularité sans pour autant s’enfermer dans du régionalisme…

M. R. : Cette identité est liée à l’histoire. Marseille s’est construite en tant que ville rebelle, à la marge de l’identité française. Elle affirme aussi un double statut européen et méditerranéen, sans doute en grande partie parce que c’est un espace de migration. L’identité est peut-être d’autant plus fortement revendiquée qu’elle est à conquérir. C’est une identité mouvante et accueillante. Elle est plurielle et donc non exclusive. Finalement, elle est assez légère à porter. Chacun peut se l’approprier. Cette souplesse se prête plus facilement au détournement artistique.

Mais cette identité comporte aussi sa part négative. Les idées de l’extrême droite se sont très fortement implantées à Marseille.

M. R. : Là aussi, il faut savoir relativiser et ne pas tomber dans les clichés. Beaucoup de gens peuvent voter front national et dans leur quotidien avoir une attitude très tolérante en direction de leurs voisins étrangers. L’implantation du front national est aussi du au fait que cette ville est très populaire, elle peut donc plus facilement tomber dans le populisme. C’est une ville pauvre dans laquelle existent des tensions qui participent de son identité. Mais là encore, il existe une forme de mise en scène, de mise à distance de la violence. Vue de l’extérieur, cette violence est omniprésente alors que, dans les faits, il n’y a pas plus d’actes d’agression à Marseille que dans les autres grandes villes de France. Il existe ici un art de l’esquive, de la théâtralisation qui fait, qu’au bout du compte, ça n’explose pas.

Cette identité populaire a longtemps été reniée par les artistes.

M. R. : A l’époque de la modernité artistique, quand il fallait créer un art pur et autonome, les artistes avait tendance à avoir honte de leur identité locale et populaire. Aujourd’hui où tous les mélanges et toutes les hybridations sont possibles, des plasticiens se permettent de marier le noble et le vulgaire, le local et l’universel…

Du coup, vous proposez des rapprochements inédits entre des artistes très différents.

M. R. : Je suis parti des œuvres. J’ai, en fait, essayé de mettre en perspectives des productions aussi différentes que l’œuvre de Richard Baquié, l’attaque du train de Marc Boucherot, la peinture de Surian, les installations des Pas perdus ou de Pascale Stauth et Claude Queyrel… Malgré leurs différences formelles, je pense qu’un fil les relie. Ces œuvres ont un intérêt qui dépasse largement la dimension locale et en même temps, elles sont fortement enracinées. De toute façon, je propose un regard très sélectif. Mon livre ne traite pas de l’ensemble de l’art contemporain à Marseille.

Les œuvres que vous mettez en avant utilisent des matériaux populaires et ont vocation à s’adresser au plus grand nombre et pourtant, elles restent très complexes et malgré tout relativement inaccessibles au grand public.

M. R. : Ce décalage est l’une des raisons qui m’ont fait écrire ce livre. Que dire aux gens qui estiment que ces œuvres ne les concernent pas, qu’ils n’y comprennent rien ? J’ai essayé de montrer qu’au contraire ces œuvres parlent de leur ville et de leur vie…

… Cependant, le plasticien a beau sincèrement vouloir s’adresser au plus grand nombre, sortir des musées, travailler à partir de matériaux et de problématiques très populaires, il n’arrive pas à toucher le grand public. Une œuvre d’art sur l’univers du football ne provoquera jamais le même engouement populaire qu’un match de l’OM.

M. R. : Il me semble que le déficit est essentiellement pédagogique et de médiation. L’ouverture à l’art est très limitée. Les grands médias désertent complètement cette question. Elle est très peu prise en charge par le pouvoir politique. Il n’y a qu’à voir l’attitude de notre Président de la République et le mépris qu’il affiche vis-à-vis de l’art. Quant à l’éducation nationale, elle ne dispense pas, ou très peu, d’éducation artistique. C’est une matière qui est dénigrée. Etant moi-même enseignant, je suis bien placé pour le savoir. Je suis persuadé qu’il suffirait de sensibiliser davantage les gens pour qu’ils s’intéressent un peu plus à l’art. Beaucoup de personnes sont intrigués par cet univers, mais, ils se sentent exclus. Le titre de capitale européenne de la culture en 2013 pourrait être l’occasion de multiplier les espaces de rencontre pour prouver aux gens qu’il est relativement simple d’apprendre à regarder et à juger une œuvre.

Dans votre livre, vous consacrez également un chapitre à la gastronomie, comment s’inscrit-elle dans ce processus de révélation de la ville ?

M. R. : J’aime bien rapprocher des éléments qui a priori ne sont pas faits pour être reliés. Là encore, je suis parti des « œuvres » culinaires et de la propension des cuisiniers à déconstruire et reconstruire les plats traditionnels. Je me suis notamment intéressé à deux chefs qui proposent une vision contemporaine de la bouillabaisse. On retrouve les mêmes tensions qu’en art contemporain : entre le populisme de la bouillabaisse traditionnelle et le cynisme des arnaques à touriste ; cette cuisine-là se situe ailleurs. Elle se veut créative, s’enracine dans le populaire tout en étant difficilement accessible et pas uniquement pour des raisons économiques. De même que l’on apprend à regarder de l’art on forme son goûts à apprécier d’autres saveurs.

Propos recueillis par Fred Kahn.

Marseille révélée par l’art contemporain. Editions Jeanne Laffitte.