Un chantier de transformation artistique, économique et urbain
La Friche la Belle de Mai, à Marseille, entre dans une nouvelle étape d’aménagement. Le site sera désormais géré par une double entité : une Scic (Société coopérative d’intérêt collective), dirigée par l’architecte Patrick Bouchain et une association, Système Friche Théâtre, conduite par Philippe Foulquié. Mais l’aménagement et le projet d’action artistique et culturel sont plus que jamais indissociables. La culture s’affirme ici comme un enjeu économique et urbain à part entière.
Patrick Bouchain, sur l’historique et la fonction de cette double entité [2’30 »]
Aujourd’hui, l’ensemble du site de la Friche La Belle de Mai offre une concentration d’activités culturelles unique en Europe. Rappelons que le seul pôle création artistique (la Friche comporte deux autres îlots : patrimoine et industrie de la culture) réunit sur 45 000 m2 près de 60 structures professionnelles et 400 personnes en activité quotidienne. Ce projet repose sur un double axiome : un développement urbain harmonieux est impossible hors de toute approche « sensible » ; cet ancrage est irréalisable hors de toute permanence artistique. Le cadre à l’intérieur duquel s’invente cette relation au quartier et à la ville doit rester souple et évolutif. Cette souplesse est même posée comme un principe d’aménagement structurant. La Friche a entamé une nouvelle phase de transformation. Elle envisage de créer de nouvelles circulations, de nouveaux équipements, le tout articulé à une réflexion sur l’espace public. L’approche est celle d’un quartier de ville. Avec ses multiples fonctions et usages. Patrick Bouchain, PDG de la Scic : « Au-delà de la culture, nous allons réaliser des équipements sociaux que les collectivités territoriales ont du mal à produire : crèche, logements sociaux, éventuellement un hôtel. Actuellement, « La Villa » de la Friche réalise déjà 4000 nuits par ans à 13 euros. Aucun hôtel ne propose un tel prix avec une telle qualité d’accueil et d’hospitalité… » .
« La culture c’est la vie »
La Friche entend s’engager sur la voie du développement raisonné, durable et responsable. C’est pourquoi la transformation du site s’accompagne d’un changement de statut. La mise en place d’une Scic répond à la volonté d’inventer un mode d’administration à la fois plus démocratique, plus représentatif et plus dynamique. Philippe Foulquié, fondateur et directeur de Système Friche Théâtre : « Nous sommes confrontés à des nécessités et, pour y répondre, nous avons besoin de nous appuyer sur des dispositifs. La Scic n’est jamais qu’un statut juridique. D’un point de vue technique, elle offre des réponses pour la transformation du site que ne propose pas l’association, notamment en terme de possibilités de gestion et d’investissement. Mais, elle induit surtout une transformation politique profonde. Cette hypothèse de développement coopératif réimplique les résidents de la Friche dans une démarche collective qui, sinon, aurait pu s’essouffler. Nous expérimentons ainsi des alternatives à la crise des politiques culturelles. La Scic participe à l’émergence d’une société civile de la culture ». La Scic s’est vue confiée par la Ville de Marseille, via un bail emphytéotique, la responsabilité foncière du site. Les acteurs du site sont donc désormais producteurs de leur propre développement. Patrick Bouchain insiste sur l’importance de cette autonomie « sans laquelle il était impossible de développer le moindre projet politique pour ce lieu. La SCIC correspond à un véritable projet de démocratie participative pour travailler à la transformation de la ville. Elle s’inscrit parfaitement dans la démarche initiale de la Friche : un projet culturel pour un projet urbain. Nous revendiquons le droit de devenir maître d’ouvrage de la transformation de l’ensemble du site. Nous menons une expérience absolument extraordinaire. La culture peut-elle être aussi actrice dans la réalisation d’équipements sociaux ou commerciaux ? Je pense que tout est culturel et que l’on a trop privilégié les approches techniques et réglementaires. La culture, c’est la vie ».
L’aménagement du site est alors véritablement pensé en lien avec le fonctionnement et ses activités. Comme un geste artistique et culturel en soi. Philippe Foulquié : « Les responsabilités sont clairement réparties : SFT s’occupe de l’organisation du projet culturel et la SCIC transforme le site. Mais pas n’importe comment. C’est un aménageur dont les membres fondateurs sont des projets artistiques. L’approche est complètement pénétrée par les nécessités culturelles ». Les artistes deviennent responsables de leurs outils de travail. Ce qui modifie profondément la relation aux financeurs publics et ouvrent des perspectives de ressources privées.
Bien au-delà de 2013
Reste à savoir comment le projet va s’inscrire dans la perspective de Marseille Provence 2013. La Friche étant gestionnaire de son site, elle est aussi responsable de son développement. Elle attend donc que Marseille Provence 2013 exprime des besoins en termes d’équipements et d’espaces. Philippe Foulquié : « Nous avons toujours considéré que Marseille Provence 2013 représentait une chance pour l’ère métropolitaine. Avant même que la Ville se porte candidate, nous étions déjà investis dans le réseau Cities on the edge créé pour Liverpool 2008 par Sir Bob Scott qui est, par ailleurs, devenu le président de la commission d’attribution du titre de capitale européenne de la culture. Quand Bernard Latarjet, le directeur de Marseille Provence 2013, a souhaité s’installer à la Friche nous avons travaillé avec les services de la Ville pour rendre cette implantation possible… Maintenant que la candidature a été retenue, elle entre dans une nouvelle phase d’opérationnalité. Des appels d’offre ont été lancés. Nous sommes, comme tout le monde, dans l’attente. Mais la SCIC continue d’échanger avec Marseille Provence 2013, notamment sur les investissements possibles dans le cadre des programmes de la Capitale Européenne de la culture ».
Les risques du projet, en termes de repli et de gentrification
Le projet de transformation du site comporte de multiples équipements : salles de spectacles, de cinéma, d’exposition, de formation, de résidences, mais aussi une crèche, de l’habitat social et des fonctions commerciales… Certes tous ces programmes ne pourront pas voir le jour d’ici 2013, mais visiblement, ils répondent à de véritables nécessités. Philippe Foulquié : « Ils ont été posés dans le temps par de longues années de pratique. Ce ne sont pas des parachutages. Par exemple, le Théâtre Massalia porte un projet de théâtre de la jeunesse. Il n’est pas pensé spécifiquement pour 2013, mais bien au delà de l’année capitale. 2013, est une étape significative. Mais ce n’est qu’une étape… ». Patrick Bouchain est sur la même longueur d’onde : « Nous sommes dotés d’un outil qui nous permet de proposer des projets combatifs et incisifs. Mais, s’ils ne se réalisent pas tous, ce n’est pas grave. D’autres les remplaceront. Un projet peut céder la place à un autre. L’objectif de la capitale européenne consiste à transformer la ville. La Friche existait avant, elle sera transformée par cet acte, mais la trace restera tangible sur le territoire bien au-delà de l’année 2013 ».
Fred Kahn
Les principes d’une SCIC
La SCIC est une nouvelle forme d’entreprise coopérative. Elle a été proposée par Martine Aubry, alors ministre de l’Emploi et de la Solidarité, en réponse à un rapport d’Alain Lipietz sur le tiers secteur économique. Ce statut a été voté en juin 2001.
La SCIC permet d’associer autour du même projet tous types d’acteurs : salariés, bénévoles, usagers, collectivités publiques, entreprises, associations, particuliers…
L’intérêt public de la SCIC est également garanti par sa vocation même à organiser, entre acteurs de tous horizons, une pratique de dialogue, de débat démocratique et de formation à la citoyenneté.
Le pouvoir est réparti sur le principe d’une 1 personne égal une voix, avec possibilité de constituer des collèges permettant de pondérer les voix selon des règles approuvées en Assemblée Générale.
La SCIC a un statut de société commerciale Sa ou Sarl et, en tant que telle, fonctionne comme toute entreprise soumise aux impératifs de bonne gestion et d’innovation. Elle s’inscrit dans une logique de développement local, est ancrée dans un territoire et favorise le maillage des acteurs d’un même bassin d’emploi et l’action de proximité.