La baie repeuplée

Récifs artificiels, un documentaire de Xavier Thierry

cubesplongeur

«Filières», «amas» et «modules»: au cours de l’année 2007, 30 000 m3 de récifs en béton ont été immergés entre le Frioul et les plages du Prado. Pour éviter de devoir baisser le volume de la pêche industrielle, on commence, un peu partout dans le monde, à chercher à «cultiver» les mers. Charge à l’halieutique – l’équivalent marin de l’agronomie – de déterminer jusqu’où on va pouvoir doper l’océan mondial. En attendant, la baie de Marseille devrait se repeupler de façon spectaculaire dans les 3 ans qui viennent.
BL

Explications de Jean Beurois, océanologue, chargé de mission par la ville de Marseille pour le projet «Récifs Prado»

Ecouter le son : La baie repeuplée [5’47 »]

«Dans le domaine de la pêche, on en est encore au paléolithique. On se contente de piller les ressources. On tape dans les stocks!» Jean-Pierre Féral, biologiste marin de la station d’océanographie d’Endoume, met le doigt sur un fait étonnant : il aura fallu attendre la fin de la révolution industrielle pour commencer à transposer dans le monde marin une technique apparue il y a 10 000 ans pour les ressources de la terre : l’agriculture. Dans les océans, on en est encore au stade de la cueillette.

immersionImmersion de récifs types «amas»

Avec la pêche industrielle et la croissance exponentielle de la population humaine, on commence cependant à apercevoir les limites de l’océan mondial. D’après une étude publiée en 2003 dans Nature (Ramson Myers), la population de grands poissons (cabillaud, morue, saumon, thon, flétan, haddock…) a chuté de 90% depuis 1950 dans l’ensemble des océans. Selon l’INRA, on pêche en Atlantique nord et dans le Pacifique 50 000 tonnes de thon rouge par an, alors que 15 000 tonnes serait la limite pour un bon renouvellement de la population. D’après une estimation de Boris Worm, biologiste marin de l’université de Dalhousie (Halifax), la projection de notre rythme actuel de pêche conduirait à vider l’océan en quatre décennies.

cubebeton«Amas» de cubes en béton

On commence donc à voir se développer des fermes piscicoles – à Marseille même, au Frioul, une ferme spécialisée dans la daurade bio déclare élever «les premiers poissons bio de la Méditerranée». Le seul hic, à l’échelle mondiale, est que ces poissons d’élevage se nourrissent eux-mêmes… de poissons… qu’il faut bien pêcher. Industrie très rentable qui emploie, directement ou indirectement, 200 millions de personnes dans le monde, l’industrie de la pêche est donc désormais très concernée par la reconstitution des ressources, puisque la baisse de l’activité n’est pas envisagée. D’où l’idée de «cultiver» nos fonds marins.

recifsRécifs types «filières hautes»

Une des techniques les plus simples, utilisées au Japon – pionnier mondial en la matière – depuis le Moyen-Age, consiste à déposer au fond des mers des récifs artificiels, de tailles et de formes aussi variées que possible, de façon à offrir aux organismes aquatiques un support de colonisation et de bioconstruction. A l’abri dans les diverses anfractuosités du béton, de l’acier ou du bambou, les alevins et jeunes organismes peuvent mieux se protéger de la prédation: les récifs entraîneraient une augmentation nette de la biomasse marine. Seul pays au monde à avoir réussi à quasi-stabiliser et localement à restaurer sa ressource marine, le Japon y consacre chaque année plus d’un milliard d’euros.

hawaiRécif artificiel japonais (ici à Hawaï)

En favorisant la reconstitution de la petite faune aquatique, les récifs artificiels entraînent le retour de la «grande faune» – celle qui intéresse l’industrie de la pêche. Pratique halieutique récente en fort développement, les récifs artificiels sont le symbole d’une ère nouvelle. Si la révolution agricole du néolithique a ouvert la voie à un nouveau monde de sédentaires et de propriétaires, nul doute que la naissance de l’halieutique, à la fin du 20e siècle, constitue un moment important dans l’histoire des rapports de l’homme au monde naturel. Peut-être que l’avenir alimentaire de l’espèce humaine réside dans l’aquaculture.

Baptiste Lanaspèze