D’Averroès à Ibn Rochd

Un débat public au Maroc sur les relations entre religion et pouvoir

Sur le même principes que les Rencontres d’Averroès à Marseille, un vent de liberté intellectuelle a soufflé pendant trois jours sur Rabat, au Maroc. Sous le signe d’Ibn Roch a permis à des intellectuels des deux rives de débattre d’une problématique on ne peut plus délicate : la relation entre religion et pouvoir. Et ce dans la Bibliothèque nationale de Rabat, au cœur d’une monarchie qui, comme chacun sait, tire son pouvoir et sa légitimité de Dieu.

Les Rencontres d’Averroès, créées par Thierry Fabre et organisées par l’Espaceculture, ont toujours eu pour ambition de dresser un pont entre les deux rives de la Méditerranée. Elles accueillent depuis 16 ans, à Marseille, des penseurs, des philosophes, des historiens et des artistes du Nord et du Sud qui nous aident à surmonter les opposition pour envisager la Méditerranée comme un espace de continuité et de convergence. Mais, Thierry Fabre a toujours souhaité que ces Rencontres traversent concrètement les frontières. L’expérience avait été tentée à Alger, il y a deux ans. Sans lendemain, à cause sans doute d’un contexte politique algérien trop tendu. Nouvel essai cette année à Rabat, au Maroc. Et visiblement, essai transformé. « Ce n’est pas une simple transplantation, mais une véritable réappropriationexplique Thierry FabreCe projet est porté par un groupe d’intellectuels : l’écrivain dramaturge Driss Ksikes, le directeur de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc Driss Khrouz, le professeur de philosophie Noureddine Affaya, l’anthropologue Michel Péraldi… Il en ont fait un événement singulier et spécifique ». De fait, ces trois jours de débats placés sous le signe d’Ibn Rochd, (Averroès en arabe) est un indéniable pas en avant pour la liberté de pensée et d’expression au Maroc.

Les sujets qui fâchent

Des intellectuels européens et arabes ont pu débattre publiquement d’une problématique on ne peu plus sensible au Maghreb : Religion et pouvoirs ; passerelle ou impasse ? « Nous avons pu tout dire, témoigne Raphaël Laugier enseignant à l’IEP d’Aix-en-Provence. Il a été question de l’instrumentalisation politique du religieux, de la modernité, de l’évolution du champ religieux dans la mondialisation… Une multitude de point de vue ont pu s’exprimer. Et ce dans un pays où la relation entre la religion et la monarchie est un sujet stratégique ». Rappelons que le Roi du Maroc cumule fonction politique et religieuse ce qui lui confère des pouvoirs très étendus sur lesquels il ne transige pas. La monarchie marocaine demeure le tabou absolu en matière de liberté d’expression. Raphaël Laugier veut donc voir dans ce moment d’échange démocratique « une anticipation de ce que pourrait devenir la société marocaine ». Car bien évidemment et malgré la volonté d’ouvrir ces rencontres aux plus grands nombres, elles n’ont concernées qu’un public relativement restreint et averti. « Pourtant la demande de débat est énorme au Maroc, assure Mohamed Tozy, politologue et sociologue marocain. Même si pour l’instant cela n’a que peu de conséquence sur le fonctionnement politique du royaume ».

Protéger la pensée puis la diffuser

Cette parole ne circule pas encore suffisamment dans la population. Mais elle existe. « Il est essentiel de créer ainsi des lieux de liberté d’où la pensée pourra ensuite rayonner beaucoup plus largement dans la société, reprend Thierry Fabre ». « Le débat entre les intellectuels du Nord et du Sud est fondamental, ajoute Alain Hayot, Vice-président délégué à la culture au Conseil Régional. Après l’échec du processus de Barcelone, beaucoup d’espoirs ont été placés  dans l’Union Pour la Méditerranée. Mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que la dynamique politique est en panne. Les sociétés civiles doivent donc se mobiliser pour que le dialogue continue ». Cette approche entend également placer les deux rives sur un même pied d’égalité. « L’Europe doit cesser de s’enfermer et dans ses frontières et dans ses certitudes, ajoute Thierry Fabre. Pour réellement construire une histoire commune, il faut instaurer des pratiques de travail conjoint entre les chercheurs des deux rives ». Ces éclaireurs ouvrent littéralement la route à des transformations sociales, culturelles et politiques profondes. Le déplacement entraîne alors des rapprochements entre des positions qui initialement apparaissaient comme irréductibles. Mohamed Tozy connaît parfaitement les mouvements religieux marocain : « Ces débats permettent aussi aux islamistes d‘évoluer et de chercher une voie de sécularisation ».

En tout cas, Sous le signe d’Ibn Rochd était initialement prévu pour se dérouler tous les deux ans. Devant le succès de cette première édition, les Rencontres seront désormais annuelles.

Fred Kahn

Le site des Rencontres d’Averroès :

http://www.espaceculture.net/08_RencontresAverroes/index_RencontresAverroes.html