Super 8, le magazine cinéma du 88.8, en partenariat avec le MuCEM et le Gyptis.
Alphonse Allais disait : « il y a des époques où l’on manque cruellement d’ogres. » Ces Ogres, ce sont des êtres de panache, d’excès, des êtres généreux, aimants, incroyablement vivants. Des êtres portés par des rêves plus grands qu’eux. Des êtres dévorants, et dévorés aussi, par leur appétit de vivre. Des êtres qui s’écrient, éructent, pour éviter parfois d’aborder ce qui les terrifie. Des êtres de l’instant, totalement engagés physiquement, émotionnellement, intellectuellement dans le présent.
Les Ogres, ce sont des hommes et des femmes qui osent tout mélanger : le travail, la famille, l’amour, sans se protéger. Des handicapés de la tranquillité qui résistent au corset social et à la peur d’être soi. Les Ogres est le titre du film de Léa Fehner, sortie il y a tout juste un an. Un deuxième long-métrage, après Qu’un seul tienne et les autres suivront, son projet de fin d’études à la FEMIS, sortie en 2009, et récompensé par le prix Louis-Delluc, honorant le meilleur film français de l’année.
Si son premier film était plus sobre, sombre, grave, autour de l’univers des parloirs, les Ogres est un film lumineux, une ode à la liberté puissante et exhubérante. Lea Fehner suit une troupe de théâtre itinérant sur les routes du sud de la France. La troupe se nomme « Davaï », « Allons-y » en russe. Comme chez John Cassavetes, les Ogres mélangent travail et famille, déballant une énergie aussi solaire que destructrice, sur scène et en coulisses. Et comme Cassavettes ou Maurice Pialat, Léa Fehner met en scène sa propre histoire, sa famille, fondatrice d’une compagnie de théâtre itinérant dans laquelle elle a grandit à Toulouse. Ses parents et sa soeur sont trois des personnages principaux de cette troupe, à laquelle elle a allié des acteurs de renom, comme le fiévreux Marc Barbet ou l’insolente et exaltante Adèle Haenel.
Au-delà de Pialat et Cassavettes, on retrouve l’influence de Fellini et sa passion du cirque, des saltimbanques, de l’itinérance, notamment dans la Strada, et son personnage de Gelsomina. On pourrait penser encore à Kusturica, pour ces délires loufoques tout en fanfare, symbole d’un théâtre itinérant qui préfère le partage au prestige, l’émotion de l’instant au culte de la perfection.
Léa Fehner s’est voulu impitoyablement lucide sur ces Ogres, pour être à l’os de ce qu’est l’humain. Elle alterne des explosions colériques à des accalmies rieuses, comme en un grand thème de musique tzigane ou une oeuvre d’Anto Tchekov, dont deux pièces, L’Ours et la Noce sont jouées dans le film.
Voici un grand entretien avec Léa Fehner, réalisé chez elle, à Paris. Et puis ce Super 8 est placé sous le signe de la famille puisqu’en fin d’émission, nous évoquerons le documentaire de Vincent Pouplard, Pas comme des Loups, qui suit deux frères, Roman et Sifredi, tous deux la vingtaine, qui réinventent un langage et des codes, en marge de notre société et toujours épris de liberté. Enfin, nous conclurons notre émission par la traditionnelle chronique Cinémoi. Ce mois-ci c’est l’artiste électro-pop marseillais, Kid Francescoli, qui s’y est prêté. Un artiste aux influences cinématographiques, qui met à nu son intimité avec comme référence, lui aussi, Pialat et Cassavettes.
Par Mario Bompart.