Super 8 #5 – L’histoire de Marseille au cinéma (1)

Super 8, le magazine cinéma de la Grenouille, réalisé en partenariat avec le MuCEM et le Gyptis.

 

 « Marseille fait bégayer le geste des cinéastes. Marseille, si noire et si solaire, fascine mais ne se donne que de manière syncopée. Sa rébellion, Marseille est bien la seule ville française où les canons furent tournés vers la ville et non vers le large, semble éternelle.

Déjà Blaise Cendrars s’émerveillait de sa complexité et de sa singularité : « Marseille est une ville selon mon coeur. C’est aujourd’hui la seule des capitales antiques qui ne nous écrase pas avec les monuments de son passé. Elle a l’air bon enfant et rigolarde, elle est sale et mal foutue, mais c’est néanmoins l’une des villes les plus mystérieuses du monde et des plus difficiles à déchiffrer. » 

Marseille serait ainsi notre petite Rome française, une cité sans Colisée ni Panthéon, mais dont chaque visage serait un éclat d’histoire. Point d’édifice imposant mais des pierres chauffées à blanc par le soleil, autant de coeurs de villages, formant l’image kaléidoscopique d’une ville vibrante de diversité, dont nombre de cinéastes ont essayé de capter les reflets, souvent avec talent, toujours avec ferveur. »

 

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Ce texte est extrait de l’ouvrage de Vincent Thabourey, Marseille, mise en scène (Ed. Espace & Signes), retraçant l’histoire de Marseille au cinéma. Critique au sein du magazine cinéphile Positif et directeur du réseau de salles d’arts et d’essai de PACA, Cinémas du Sud, Vincent Thabourey est notre invité fil rouge.

Marseille, une ville si complexe et insaisissable qu’elle impose le feuilleton comme mode de narration : De la trilogie de Pagnol à la série Netflix, des Bébés de Louis Feuillade à Plus Belle la vie, de la saga politique Marseille contre Marseille, de Jean-Louis Comolli et Michel Samson, aux contes de l’Estaque de Robert Guédiguian.

Marseille, une ville de commencements, ou plutôt La Ciotat, le berceau du cinéma, où se sont allumés les Lumières. L’Eden Théâtre de la Ciotat accueille la première projection Lumière le 21 mars 1899. 10 ans plus tard, l’Eden est le théâtre des films magiques de George Méliès, l’inventeur du trucage, de la fiction.

Marseille, une ville qui, tels les canons de son fort Vauban, tourne le dos au large et voyage en son sein. Marcel Pagnol, le provençal des terres, semblait craindre la mer. Dans Fanny, Panisse met en garde l’innocent Mr Brun lors de la vente d’un bateau : « si vous voulez aller sur la mer sans risque de chavirer, n’achetez pas un bateau, achetez une île ! » Un voyage intérieur filmé à merveille par René Allio, notamment dans l’Heure exquise où il narre, de sa voix, les allers-retours de ses ancêtres paysans depuis leurs collines populaires jusqu’au centre-ville commerçant. Un voyage intérieur des calanques sensuelles d’Emmanuel Mouret, avec Laissons Lucien Faire, ou Dominique Cabrera avec son récent Corniche Kennedy, jusqu’aux cimenteries de l’Estaque où Marius a séduit Jeannette.

Marseille, une ville ouvrière, une ville militante, une ville de solidarités comme l’a documenté l’immense Paul Carpita, dans son immanquable Rendez-vous des quais. Marseille, une ville chantée, tout d’abord par les opérettes de Vincent Scotto, mais aussi Fernandel dans Honoré de Marseille ou encore Yves Montand dans Trois places pour le 26 de Jacques Demy.

Cette émission oublie volontairement un pan important de Marseille à l’écran : sa face brigande, canaille, corruptible, puisque ce Super 8 consacré à Marseille au cinéma se décline en trois volets. Ce premier numéro, où l’on va revenir sur certains réalisateurs majeurs dans le patrimoine cinématographique de la ville. Le second, à la fin du mois de juin, où nous décortiquerons les images, fantasmes ou en tout cas référentiels qui collent à la peau de Marseille : la corruption dans sa politique locale, avec Marseille contre Marseille de Jean-Louis Comoli et Michel Samson, qui sera avec nous dans les studios. L’image de ses quartiers populaires, notamment à travers le cinéma de Karim Dridi et son excellent Chouf, sorti l’an passé. Enfin, on évoquera la figure du briguant, notamment chez Maurice Tourneur, Jean-Claude Izzo ou Friedkin et sa French Connection. Le troisième et dernier volet se tiendra au FID, pour mettre en lumière les oeuvres de cinq documentaristes marseillais, qui ont chacun filmé des lieux emblématiques de la ville.

En fin d’émission, nous retrouverons nos chroniques habituelles, avec un compositeur de musique de film présenté par Tom Crebassa, et la chronique de cinéphilie, Cinémoi, avec ce mois-ci le journaliste et écrivain marseillais Philippe Pujol, prix Albert Londres en 2014 pour La fabrique du monstre (Ed. Les Arènes) et récent auteur de Mon cousin le fascite (Ed. Le Seuil).

 

 

Cinémoi Philippe Pujol :

 

Par Mario Bompart.