Déballer une œuvre. La voir, la revoir. par Emmanuel Moreira
Depuis la création du FRAC PACA, une trentaine d’années ont passé. 30 ans d’acquisitions d’œuvres contemporaines, diffusées, exposées, prêtées, puis rangées dans les réserves. Et si une émission radio se faisait le prétexte d’un déballage ?
L’Atelier du regard propose chaque mois à un artiste, un intellectuel, un amateur d’art… de choisir une œuvre dans le catalogue du FRAC PACA.
Situation intimiste, déconnectée des grandes expos. L’œuvre, pour soi tout seul, ou presque.
L’œuvre choisie, sortie de sa réserve, est exposée au regard. Des paroles, des commentaires, des interrogations émergent, que le micro de Radio Grenouille recueille…
Une émission en coproduction avec le FRAC PACA
MICHEL BLAZY / THOMAS FERRAND
Thomas Ferrand est metteur en scène entre chorégraphie et théâtre. Il a souhaité découvrir trois vidéos de Michel Blazy :
Voyage au centre, Green Pepper Gate et le Multivers. 3 courtes vidéos réalisées en 2002 et 2003.
Michel Blazy fabrique des sculptures et installations organiques à partir de matières végétales et de matériaux de notre quotidien. Ses installations constituent des biotopes dans lesquelles évoluent des formes de vies. Ses oeuvres s’éprouvent dans la durée. Dans son jardin, véritable laboratoire continu, Michel Blazy observe et accompagne l’évolution de ses sculptures. Certaines d’entre elles évoluent depuis plus d’une dizaine d’années. Qu’observons-nous ? Putréfaction, pourriture, altération mais aussi milieu de vie pour tout un peuple d’insectes. C’est le mouvement même de la vie en tant qu’il ne cesse de faire et défaire la forme qui fait œuvre. Les trois vidéos Voyage au centre, Green Pepper Gate et Le multivers proposent de pénétrer à l’intérieur de ses sculptures vivantes installées dans son jardin. Le spectateur découvre alors l’écosystème qui s’y développe. Là, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. ».
Le travail de Michel Blazy interroge à plusieurs titres.
Tout d’abord, il vient perturber le partage classique entre œuvre plastique, fixée et spectacle vivant.
D’autre part, ses installations créent une tension contradictoire entre le caractère éphémère de l’œuvre, soit la métamorphose et l’inscription dans le temps, soit le mouvement a priori infini de ces métamorphoses.
D’autre part, c’est le statut même de l’artiste qui est remis au travail et dans une dimension paradoxale. Michel Blazy est à la fois l’auteur des agencements, en ce sens qu’il maîtrise la composition, mais en même temps, une fois cette composition faite, il se fait observateur et laisse l’œuvre évoluer d’elle-même. De sorte que l’œuvre est à la fois signature de l’artiste par l’agencement des matériaux et signature de l’œuvre elle-même par l’autonomie que ces matériaux prennent dans leurs décompositions, re-compositions. La co-signature se fait moins avec le spectateur comme l’envisageait Duchamps, mais co-signature avec la nature elle-même. Mais de quelle nature s’agit-il ? Michel Blazy nous révèle le caractère construit du concept de nature. Car les mondes qu’il fait éclore sont issue d’agencements fabriqués par l’artiste. Mais ces agencements de béton et de végétaux, par exemple, nous pouvons les observer chaque jour dans nos villes, au bord des trottoirs, aux pieds des mur…
Et c’est sans doute là l’enjeu majeur du travail de Michel Blazy quant à ce qu’il en est de l’art. S’il est incontestable qu’il crée des formes, ces vidéos nous disent aussi que le travail de l’art serait moins de créer des formes inédites que de nous donner à voir des phénomènes, que a priori nous ne voyons pas, soit parce que nous n’y portons pas attention, soit que nous n’avons pas l’attention pour. Peut-être est-ce simplement cela le geste de l’artiste : donner à voir ce qui existe en inventant les dispositifs qui le permettent, c’est-à-dire le travail d’exposition.
Ces trois vidéos, Voyage au centre, Green Pepper Gate et le Multivers exposent la vie même du dispositif.