43 18 – UN MONUMENT POUR PYTHÉAS

Panthéon sauvage # 1

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« 43 18, Monument # 1 » (maquette du monument à Pythéas)

Depuis quelques temps, sur le blog Ville sauvage, nous essayons de présenter Marseille comme la capitale d’une autre écologie. Après une quinzaine de posts, le moment semble venu de donner des visages aux idées que nous essayons d’agiter.

Savants, hommes de foi ou artistes : un certain nombre de grands Marseillais ont porté à l’universel l’esprit de cette ville sauvage, par leur découvertes, par leur intérêt pour le monde naturel, par leur tempérament enragé pour la justice.

En inaugurant cette semaine la série PANTHEON SAUVAGE, le blog Ville sauvage veut continuer de construire un autre regard sur la nature. Chacune des personnalités de ce Panthéon a enrichi ou peut enrichir notre vision de la nature.

Et pour que les guides touristiques arrêtent de répéter que Marseille n’a pas de monuments, ce Panthéon sauvage s’inscrira avec audace sur le territoire de la ville à travers des visuels utopiques et délirants.

Marseille et les grands hommes, c’est pourtant un peu comme l’eau et l’huile. Parmi les talents que la ville a enfantés, une part est péniblement parvenue à faire oublier ses origines marseillaises (Antonin Artaud, Daumier, Philippe Caubère …), une autre est tombée dans l’oubli (Brauquier, Suarès…) et une dernière s’est laissée dévorer et anéantir par la couleur locale (Pagnol, Fernandel…).

Ces méga-projets pharaoniques, à la hauteur de ces géants, seront une façon de se faire une idée – aussi caricaturale et naïve soit-elle – de ce que pourrait être Marseille si elle nous réconciliait avec la grandeur.

PYTHEAS / OCTOBRE 2008 / # 1
Dossier d’entrée au PANTHEON SAUVAGE

Pourquoi lui
A l’équateur, le 21 juin, à midi, les rayons du soleil forment avec la surface du globe terrestre un angle droit. En remontant vers le Sud ou vers le Nord, une inclinaison apparaît. Si la Terre est bien ronde, et non plate, l’angle formé par les rayons du soleil doivent permettre de déterminer la latitude à laquelle on se trouve…
A une époque où la science et la philosophie en étaient en Occident à leurs premiers balbutiements, où la Méditerranée constituait l’ensemble du monde connu, tel fut probablement le début du raisonnement qui amena le Marseillais Pythéas, à partir de l’hypothèse d’une Terre sphérique, à mettre au point le système de triangulation qui permet de déterminer la situation géographique. Ayant voyagé aux confins de l’Europe du Nord jusqu’à cette terre qu’il nomma Thulé, et dont on ne sait trop si ce fut la Norvège ou l’Islande, il détermina à la fin du IVe siècle J.-C. la position géographique de Marseille avec une précision quasi parfaite : 43°18 N.

Grâce à Pythéas, Marseille fut ainsi la première ville au monde à savoir où elle était.

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Marseille fait-elle toute sa place à Pythéas? Ici, sur la façade de la Bourse, le plus grand marin de tous les temps semble mal à l’aise dans sa niche.

Pourquoi là
Le marégraphe constitue à la fois le centre géographique de la ville et le lieu où l’on calcule, pour la France, le niveau zéro. C’est donc ici, tout près de la pointe de Malmousque, pile au milieu de la façade littorale de Marseille, que se décide la taille de nos montagnes.

Pythéas, héros marseillais de dimension planétaire, premier géographe de tous les temps, mérite bien de rayonner au centre d’une ville dont, étant issu, il détermina le lieu.

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« 43 18, le Monument » vu depuis le Marégraphe (maquette)

Pourquoi ça
Le monument consiste en 4 immenses chiffres « 43 18 », formés par des lasers, qui rayonnent dans la nuit, entre le marégraphe le Frioul.
Pour avoir été trop précoces, les découvertes de Pythéas furent oubliées pendant 12 siècles. Cette négligence exigeait une réparation proportionnelle.
Les rayons sont visibles depuis les avions qui atterrissent ou décollent de Marignane. Plus personne n’ignorera désormais les coordonnées géographiques de la ville où l’on inventa les coordonnées géographiques.
Cette glorieuse mise en perspective invitera peut-être en outre nos concitoyens à se projeter encore plus dans l’espace et dans le monde.

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Le cratère Pythéas sur la lune (dans Mare imbrium)

Le mot du jury
Par chance, Rachel Carson elle-même, biologiste marine et écrivain, la fondatrice mondiale du mouvement écologiste, nous a laissé un beau texte en l’honneur de Pythéas.
Ce texte sera gravé (en anglais, en français, en espagnol, en italien et en arabe) au Marégraphe. Il sera également lu (en anglais et en français) par des actrices célèbres, et enregistré, pour être diffusé en permanence à faible volume autour du monument, de façon à ce que, les jours où le vent n’est pas trop fort, on puisse se rappeler, en tendant l’oreille, comment on prononce Pythéas en anglais : [Païthi: as].

Quand on en arrive aux documents historiques, on voit que le premier voyage d’exploration maritime fut accompli par le Marseillais Pythéas vers 330 avant J.-C. (…) Nous savons très peu de choses des circonstances principales du voyage vers le Nord fait par cet astronome et géographe, mais Pythéas désirait probablement voir jusqu’où s’étendait l’Œcumène, ou terre ferme, apprendre la situation du cercle polaire arctique et aller jusqu’au pays du soleil de minuit. Il devait en avoir entendu parler par les marchands qui rapportaient l’étain et l’ambre des régions baltiques en suivant les routes commerciales du continent.
On comprend que Pythéas, qui fut le premier à recourir aux calculs astronomiques pour déterminer la situation géographique d’un lieu et qui a donné d’autres preuves de ses connaissances en la matière, ait accompli son voyage d’exploration avec une science et une habileté particulières. Il semble avoir fait le tour de la Grande-Bretagne, atteint les îles Shetland, puis s’être lancé en plein océan vers le Nord, où il parvint enfin à « Thulé », pays du soleil de minuit. « Dans ce pays, aurait-il écrit, les nuits étaient très courtes, de deux heures ici, de trois heures là, en sorte que le soleil se levait peu de temps après s’être couché.» La région était peuplée de « barbares », qui lui montrèrent « l’endroit où le soleil se repose ». La situation de Thulé a été fort discutée ensuite par les savants ; les uns pensant que c’était l’Islande, d’autres ont estimé que Pythéas traversa la mer du Nord et arriva en Norvège. Il aurait encore décrit une « mer congelée » s’étendant au nord de Thulé, ce qui semblerait plutôt indiquer l’Islande.
Mais les siècles d’ignorance allaient s’appesantir sur le monde civilisé. Les savants postérieurs à Pythéas ne paraissent pas avoir tenu grand compte des connaissances que lui avaient valu ses voyages. Le géographe Posidonius a traité de l’Océan, qui « s’étendait à l’infini », et entrepris un voyage de Rhodes à Gadir (Cadix), pour le contempler, mesurer ses marées et voir jusqu’à quel point il était exact que le Soleil s’y plongeât le soir avec le sifflement que fait un fer rouge trempé dans l’eau.
Il faut attendre que douze cents ans s’écoulent après Pythéas pour rencontrer un autre récit précis d’exploration.

(Rachel Carson, Cette mer qui nous entoure, Stock, 1952 – The Sea around us, Oxford University Press, 1950)

P5Marseille-Grande Bretagne-Thulé, et retour : le premier voyage d’exploration maritime de tous les temps

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« 43 18 XXL, premier monument exogéique » (maquette) :
liaison laser entre le Marégraphe et le cratère Pythéas sur la Lune

Baptiste Lanaspèze