Super 8 #6 : la trilogie marseillaise de Karim Dridi

Super 8, le magazine cinéma de la Grenouille, réalisé en partenariat avec le MuCEM et le Gyptis.

Après une première émission à la dimension rétrospective, où nous sommes revenus sur de grands films tournés à Marseille au cours du XXe siècle, et avant de conclure cette saison de Super 8 au FID, avec plusieurs cinéastes qui ont tenté de documenter Marseille, focus ce mois-ci sur une magnifique trilogie marseillaise, celle de Karim Dridi.

Une trilogie sur un thème commun : le déterminisme social, avec une héroïne récurrente : la jeunesse. La jeunesse sacrifiée, celle laissée pour compte. Une trilogie à cru, d’une vérité à l’état brut, où l’on se passe de jugements moraux et de clichés, toujours à égale distance de l’héroïsation et d’une clairvoyance sur la misère vécue par certaines communautés, certains quartiers. Des portraits de groupe, où le réalisme documentaire est dominé par la poésie de la mise en scène et la direction d’acteur de Karim Dridi.

La trilogie a commencé avec Bye-Bye, réalisé en 1995, un film où l’on suit deux frères en transit à Marseille. Deux frères en immersion chez des cousins, dans une famille aux relations complexes installées dans le quartier du Panier, encore gangréné par le deal et le racisme.

Puis il y a eu Khamsa, réalisé en 2008 au coeur d’un camp gitan situé près du chantier naval de l’Estaque. On suit Marco, jeune gitan de 11 ans, qui a fui le foyer où il avait été placé après une grosse connerie. Marco revient dans le camp dont il est originaire et fait les 400 coups avec ses acolytes. Du vol d’un sac à main à celui de scooters, en passant par les combats de coqs, on suit cette existence de débrouille, où Marco ne trouve pas sa place dans une société qui semble l’avoir abandonnée.

Une société qui a abandonné les jeunes de la Busserine, où a été tourné le dernier film de Karim Dridi, Chouf, un polar social hyperréaliste présenté l’an dernier à Cannes. Chouf signifie regarde en arabe. Celui qui chouf, c’est le guetteur dans le système du deal. Chouf retrace l’histoire de Sofiane, un jeune qui a grandi à la Busserine puis est parti à Lyon pour y suivre des études de commerce. Le film débute lorsqu’il revient dans sa famille pour des vacances scolaires. Son grand-frère, Slimane, deal et vit toujours avec sa famille, à qui il permet de survivre par le traffic. Sofiane ne se sent plus à sa place dans le quartier de son enfance, en profond décalage par rapport à sa vie étudiante. Mais l’assassinat de son frère, Slimane, va tout changer. Sofiane ne veut repartir à Lyon que lorsqu’il aura vengé son frère.

Chouf offre une double lecture sur le sort de ces jeunes – en manque cruel de perspectives dans une cité isolée, emprise au deal et au chômage – et sur le sort de familles abandonnées, qui doivent survivre avec la douleur d’enfants perdus. Encensé par la critique et le public, Chouf est un chef d’oeuvre de réalisme, qui a su mélanger les genres, du polar social à la tragédie grecque. La force tient particulièrement à sa direction d’acteurs. Si on retrouve Slimane Dazi, Christian Mazzuchini et Simon Abkarian dans des personnages secondaires, les cinq rôles principaux sont tenus par des comédiens amateurs, choisis parmi 1 500 jeunes, puis devenus de grands acteurs après trois années d’ateliers. Une démarche rare qui nous offre une qualité d’interprétation fascinante.

 

 

 

 

Chronique cinémoi : 

Dominique Cabrera, réalisatrice de Corniche Kennedy (2017).

 

Par Mario Bompart.