9 mars, 11h30, Marseille. Colère contre un projet de loi portant sur une réforme radicale du code du travail. Un projectile dans le livre, une bombe.
Descendre dans la manifestation. Descendre à plusieurs. Comprendre, enquêter, interroger. Comment c’est le travail aujourd’hui ? Quel travail ? Pour combien d’argent ? pour combien d’heures ? Arracher du concret. Éviter les commentaires, couper court aux énoncés flottants, se méfier des bouts de phrases déjà toutes faites. Plonger au ras de l’expérience et s’y maintenir. Et avec la hiérarchie, comment ça va ? Et qu’est-ce qu’il en reste de toutes ces années à travailler ? Comment c’est le travail au quotidien pour vous ? et vous ? et vous encore ?
9 mars, 13h. Fin de la manifestation. 40 personnes qui racontent, cela fera 10 fragments sonores. « On est moins bien payé que des fauteuils de salles ». Des salaires qui se déclinent en brut, en primes et en net. Des corps qui craquent sous le poids des humiliations et des charges. Des rendements au trois-huit. Lutte perpétuelle à recommencer chaque matin. Accident : « On te jette dans un coin ». Déchet du système, plus bon a rien. « Il est comme ça le chef, il aime bien changer tous les jours ». Rester vigilant, sur ses gardes, anticiper le moindre signe. « On passe notre temps à nous contrôler ». La prise est bien faite et pour un coût moindre. Le corps s’abîme, se déchire, les mains, le dos, les épaules. « On est des machines, on est des robots ». Qui a dit que les machines remplaçaient les humains au travail ? Les machines ne prennent pas la place de quelqu’un, elles sont déjà là. C’est que les corps ont déjà mutés en algorithme. Mettre une machine ou un robot c’est simplement signer la fin d’un processus. « Laissez-nous vivre ». Système bidouille, bricolage à la marge pour garder la tête hors de l’eau. C’est déjà pas facile, pourquoi cet acharnement ? « On relève la tête de temps en temps ». Ne pas perdre de vue les collègues de travail. Éviter l’isolement, faire corps à plusieurs. « Vous travaillez dans la pollution et vous mangez dans la pollution ». Retour au XIX°s.
Les fragments ne sont pas ordonnés. Montés comme c’est venu, au hasard des rencontres. Pourtant, une cartographie se dessine, un monde prend forme. Des chapitres pourraient s’écrire.
La misère du monde commence à dater. 1993. Et on se dit qu’une ré-actualisation ne nous ferait pas de mal.
Reporters : Clémence Macaluso, Marin du Couëdic, Fanny Ohier, Emmanuel Moreira
Réalisation, montage : Emmanuel Moreira