Le Requin Barjot – 01/50 : Quoi de neuf à Baltimore ?

Vie et oeuvre de Frank Zappa en 50 épisodes…

Citation : « Le journalisme de rock, c’est des gens qui ne savent pas écrire, qui préparent des histoires basées sur des interviews de gens qui ne savent pas parler, pour amuser des gens qui ne savent pas lire »

01/50 - Quoi de neuf à Baltimore ?

  • Proposé et réalisé par Gilles Gouget de DivergenceFM à Montpellier.
PlaylistTexte

 


 


 


 


 


 

Le Requin Barjot – 01/50 : Quoi de neuf à Baltimore ? – 49’42 »

 

Frank Vincent Zappa à le don de la formule, et s’il aura autant énervé un bon nombre d’américains, il le doit peut-être à ses origines. Déjà, quand il vient au monde, il est tout noir, suffisamment en tout cas pour qu’on le croie un instant mort. Mais au-delà de ça, son père est moitié grec moitié arabe, et sa mère moitié française moitié sicilienne. Curieusement, il ne plaira pas à ceux-là mêmes qui glorifient ce melting-pot si cher à la mythologie américaine.

Frank Zappa est né le 21 décembre 1940 à Baltimore, dans le Maryland, sur la côte est des États-Unis, au Nord-Est de Washington. Son père, le fils d’un barbier, fit carrière dans la fonction publique comme employé de bureau, professeur d’histoire, météorologue, métallurgiste puis prof de math, pour finir par écrire un livre sur le jeu intitulé « La chance et comment la prendre ». Sa mère, après avoir été bibliothécaire, fut surtout mère au foyer – Zappa a deux frères et une sœur –.

La famille déménage plusieurs fois au cours des dix premières années de la vie d’un Frank Zappa qui cumule les ennuis de santé : de mauvaises dents qui vont lui apporter la haine du mot dentiste, des otites à répétition pour lesquelles on lui truffait les oreilles de coton imbibé d’huile d’olive, des crises d’asthme et des problèmes de sinus que la science médicale de l’époque soignait au radium, ajoutés aux inévitables accidents domestiques.

Son père, pour aider à payer le loyer, loue son épiderme à l’armée qui y dépose des patchs de test de produit dits pharmaceutiques pour 10$ le patch, à la condition de ne pas se gratter et de ne pas regarder sous le pansement ce qu’il s’y passe, d’autant que le produit testé n’est pas communiqué à l’intéressé. Il est alors employé comme météorologiste par l’arsenal d’Edgewood où, dans ce contexte de seconde guerre mondiale, on fabrique du gaz moutarde. A cet effet, pendus au porte manteau familial, des masques à gaz pour toute la famille ajoutent encore à ce décor dont on retrouvera des morceaux ou des ambiances dans ses musiques et ses textes, des dizaines d’années plus tard.

La santé toujours un peu précaire de Frank Zappa va jouer pour beaucoup dans un déménagement pour la Floride, rendu possible par un poste d’études balistiques, alors que la guerre suit son cours. Frank Zappa gardera peu de souvenirs de cette période en Floride, si ce n’est l’impression que tout y est en Technicolor comparé à Baltimore, les crocodiles, les moustiques et le pain qui moisit en passant la nuit dehors. Surtout, c’est sa santé qui s’améliore et il grandit de trente centimètres. Puis, sa mère ayant le mal du pays et pensant que la santé de son fils s’était stabilisée, la famille Zappa retourne à Baltimore. Nous sommes à la toute fin des années quarante, et ce retour inspirera peut-être, 30 ans plus tard, en pleine lutte juridique contre les associations de défense de la morale puritaine et autres peine-à-jouir, What’s new in Baltimore.

Tranche d’interview :
« Alors Frank, tu as les cheveux longs, euh… Cela fait-il de toi une femme ? »
« T’as une jambe en bois. Ca fait de toi une table ? »

Qu’y-avait-il de neuf à Baltimore, après ce séjour en Floride qui regaillardit quelque peu Frank Zappa, âgé ici de douze ou quatorze ans ? Eh bien rien de très réjouissant. Ce retour dans le Maryland n’a rien à voir avec les souvenirs de Dexter Street, à Edgewood, hors de la ville. L’horizon passe du vert des plantes au gris des murs de la ville. On prend la décision de partir à la conquête de l’ouest dans la voiture familiale, l’inconfortable ‘Henry J’ aux banquettes arrières en planche où les enfants vont s’user les fesses pendant les deux semaines du voyage.

Arrivée an Californie. Il pleut et il fait froid. Le père de Frank Zappa, sûr et certain qu’il fait toujours beau et chaud en Californie, a donné tous les vêtements d’hivers à une famille noire éberluée sur le bord de l’autoroute. Leur arrivée à Monterey, une centaine de kilomètres au sud de San Francisco, est donc un peu brutale. La famille est pauvre, et la sortie du week-end se résume souvent à suivre des camions de laitues, ramasser celles qui tomberont pour les faire bouillir à la maison. Frank Zappa dira « Je n’aimais pas être pauvre. Il semblait alors que tout ce que pouvais vouloir faire, qui m’amuserait, coûtait trop d’argent. Et quand on est un enfant et qu’on peut pas faire de trucs amusants, on s’ennuie, on est insatisfait, ou les deux ».

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Depuis l’âge de onze ans, Frank Zappa s’intéresse aux tambours, un instrument aux déflagration strictement sonores… Il suit un cour d’été avec Keith McKillop, qui enseigne les rythmes écossais de base sur des planches. Il pratique et tanne ses parents pour qu’ils lui achètent une caisse claire, ceci sans but précis quant au style, car nous sommes en 1956, le rock’n’roll n’existe pas dans l’esprit de Frank Zappa. Il ne se met à écouter de la musique qu’à 15 ans, ses parents n’en sont pas spécialement friands, même si son père possède une guitare dont il joue tous les 36 du mois.

C’est en tout cas de la batterie dont il jouera en premier, en 1956, dans le groupe de R&B du lycée appelé The Ramblers – les vagabonds –. Ses parents lui achètent une batterie d’occasion à 250f, pour remplacer les seaux et les bassines sur lesquels il s’exerce. Il reçoit l’instrument une semaine avant leur premier concert et a toutes les difficultés du monde avec son pied droit et la pédale de la grosse caisse. Le soir du concert, c’est sa seule paire de baguettes qu’il oublie, puis il se fait virer car il jouait trop les cymbales.

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Extrait de chanson : _« Je n’suis pas noir, mais y’a tout un paquet d’fois _où j’aim’rais pouvoir dire que je n’suis pas blanc. »

Frank Zappa, le guitariste, aura donc commencé sa carrière comme batteur, avec enfin une batterie complète qu’il détaille en 1977 en ces termes : « je les convainquis de m’acheter un set complet, qui consista en une grosse caisse, un charleston rance en zinc, un tom basse, et une cymbale ride de 15’’ en zinc. ». En tous cas, quoiqu’il en pense a posteriori, l’instrument vient à point, et il comble alors un vide tenaillant.

Les répétitions des vagabonds se déroulent chez les parents d’un certain Stuart dont le père est prêtre, et ce dernier ne goûtant pas particulièrement la présence d’une batterie chez lui, les pots et autres ustensiles reprennent du service, soudain ridicules sous les baguettes qui avaient enfin trouvé leurs fûts.

Le leader des Ramblers, Elwood Jr Madeo, renvoie Frank Zappa aussi parcequ’il ne garde pas assez bien le tempo.

Cet apprentissage de la musique se développe parallèlement à l’émergence des vinyles. Les premiers musiciens qui grattent des accords de rock précèdent de plusieurs années la sortie de leurs propres disques, et les adolescents de l’époque achètent des 78 ou 45 tours, les 33 tours sont alors financièrement prohibitifs.

A ce moment là, Frank Zappa compte cinq ou six 78 tours, et le premier album qu’il aura jamais vu aura une pochette montrant un groupe dansant d’adolescents, très, très, BLANCS, entourés de bouteilles de sodas. Et… gravé sur le vinyle, une compilation de chansons doo-wop de groupes noirs. Une hypocrisie commerciale qui n’aura de cesse de l’irriter…

C’est dans cette époque où les disques sont rares (ce qui serait aujourd’hui quasi-surréaliste), que Frank Zappa tombe sur un article du magazine Look, qui encense le magasin de disques de Sam Goody’s et vante ses qualités de marchand. Le journaliste prétend que Sam Goody peut tout vendre, et à titre d’exemple, il souligne que s’est vendu dans ce magasin un album intitulé « Ionisations ». L’article dit : « Cet album n’est rien que percussion, c’est horrible et dissonant ; la pire musique dans le monde ».

A ces mots, le jeune Frank Zappa ouvre un large bec et laisse tomber : « Ahh ! Oui ! Ca c’est pour moi ! »

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Citation : « L’enfer n’existe pas, il n’y a que la France »

Le volume 1 des œuvres complètes d’Edgar Varèze sera donc le premier 33 tours que Frank Zappa achètera. Le deuxième sera un enregistrement bon marché du Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky, et à cette époque, c’est la Symphonie op. 21 de Webern qui complète le triangle de ses inspirations… ‘Orchestrales’.

Qu’il écoute Varèze, Stravinsky, Webern et la musique dodécaphonique (dont il ignore l’existence même) ou des morceaux de Lightning Slim et des Jewels, c’est du pareil au même, Frank Zappa n’a pas d’éducation formelle en la matière, et il n’existe pas de hiérarchie dans les musiques qu’il écoute.

Les délicieusement kitsch ‘Jewels’ (les Joyaux), et leur titre Angel in my life plaisent tant à Frank Zappa qu’il alla voir un Mr Kavelman, un des rares professeurs dont il dira qu’il l’ait aidé ; professeur de musique… tiens !

« Écoutez ça » dit-il, « …et dites-moi bien pourquoi je l’aime tant »

Il écoute… et conclut : « les quartes parallèles. »

Outre ce petit service, c’est par lui que Frank Zappa découvre Webern qui sera la première personne à lui confirmer l’existence du dodécaphonisme.

Un autre prof de musique, Mr Ballard, lui rendra un immense service sans vraiment le vouloir. Batteur, Frank Zappa est obligé de se taper tous les matchs de football du dimanche, dans la fanfare du lycée. Ce même Ballard va le renvoyer de celle-ci pour avoir fumé en uniforme, et Zappa lui en sera éternellement reconnaissant. Ce sera aussi grâce à lui que Frank Zappa aura l’occasion de diriger l’orchestre – quelques fois –, ou encore d’écrire au tableau des partitions de son cru qu’il fera ensuite jouer par l’orchestre.

Le troisième et dernier des professeurs à avoir échappé à son mépris sera son prof d’anglais, un certain Don Cerveris, qui plus tard abandonnera sa carrière d’enseignant pour devenir scénariste. Il offrira ainsi à Frank Zappa la première occasion d’écrire de la musique à l’image, en l’occurrence : un film de cow-boy à très très petit budget.

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Johnny Guitar Watson, ainsi que Howlin’ Wolf, Muddy Watters, Sony Boy Williamson, Guitar Slim, Don & Dewey, Les Spaniels, Les Nutmegs, Les Paragons, Les Orchids, Les ect, ect, ect, ect… Ils tournent tous sur le pick-up des mois durant chez ce Don Van Vliet, plus tard plus connu sous le nom de Captain Beefheart.

Frank Zappa et lui sont à cette époque très proches. Vliet a abandonné le lycée suite à une crise cardiaque survenue à son père, camionneur, qu’il va remplacer un temps, pour finir par passer beaucoup de son temps à faire autre chose. Il vit avec ses parents, sa compagne Laurie, sa tante et son oncle Alan.

C’est à l’oncle Alan que Don Van Vliet devra son pseudonyme d’artiste. Se trouvant très à son propre goût, l’oncle à l’habitude de s’ex-poser à Laurie, en laissant par exemple la porte des toilettes ouvertes quand elle est dans les parages, tout en qualifiant bruyamment son appendice de « splendide bout de viande » et de « cœur de bœuf ».

La nature un peu relou dudit nom de scène explique peut-être qu’il en ai limité l’usage à sa carrière musicale, puisqu’il signera ses toiles Van Vliet.

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