Wanton-Bishops

Des riffs sauvages, une voix rauque, des solos d’harmonicas endiablés… Le garage-blues bien graisseux des Wanton Bishops évoque des musiciens aux bottes plantées dans la boue des rives du Mississippi ou dans une ornière d’une zone industrielle de Chicago. Pourtant, la formation est née bien loin du bayou luxuriant de Louisiane ou des banlieues septentrionales des États-Unis… C’est du côté de la Méditerranée que le chanteur et harmoniciste Nader Mansour et le guitariste Eddy Ghossein ont monté leur duo rock’n’roll. Et en tendant un peu l’oreille, on peut entendre dans leur musique comme un léger parfum du Moyen-Orient…
L’aventure commence en 2011 au Liban autour d’une bagarre générale dans un bar de Beyrouth, et continue aujourd’hui sous forme de tournées internationales et avec l’enregistrement d’un deuxième album, plus proche de leurs racines musicales orientales.
Les Wanton Bishops, c’est deux mecs qui ont réussi a tracer un chemin atypique de musiciens dans un pays où la musique alternative peine à s’exporter. Nous avons contacté Nader Mansour, moitié barbue et tatouée du duo, pour parler de leur son et de la scène musicale libanaise.

Salut Nader ! Est-il difficile d’être musicien et de jouer de la musique alternative occidentale au Liban aujourd’hui ?

Tu sais, tout est difficile quand on vient du Liban. Faire n’importe quel boulot est difficile. Et surtout faire de la musique, parce qu’il n’y a pas vraiment d’industrie, pas de magasins ni de maisons de disques… Le pays n’a pas vraiment d’expérience dans le domaine. Avec les Wanton Bishops, on trace un chemin qui n’existait pas vraiment avant. C’est difficile, parce que notre son ne fait pas partie de la palette des musiques qui sont jouées là-bas, et qui ont une audience large. Du coup, il faut se frayer un chemin où il n’y n’a pas d’exemple.

A quoi ressemble la scène musicale aujourd’hui à Beyrouth ?

Les jeunes écoutent beaucoup de pop arabe un peu… moche. Je sais pas comment le dire sans insulter quelqu’un. Les stations de radio passent, par exemple de la pop oriental ou du top 40, des hits internationaux. Après, il y a la scène alternative qui est divisée entre beaucoup d’électro et ce qu’il nous reste à nous de rock’n’roll ou de musiques du monde.

Cette scène était-elle différente lorsque vous avez monté le groupe en 2011 ?

Oui, tout se développe beaucoup en fait pour les groupes qui font la même chose que nous : du rock’n’roll, de l’indé, du folk… Le public qui écoute de l’électro là-bas, nous écoute aussi. C’est toute cette même scène alternative. Ce qui n’est pas une base assez solide pour faire carrière au Liban, mais c’est un bon support local.
Du coup, avec les Wanton Bishops, on a misé sur Internet. C’était le créneau qu’il fallait prendre. On a eu un peu le syndrome de Stockholm avec tout ce qui est piratage. On est tombé amoureux de ce nouveau concept et on a accepté de diffuser notre musique gratuitement par streaming. Ce qui a permis de nous donner une visibilité, d’élargir notre public, et donc d’attirer des promoteurs à l’international.

Les Wanton Bishops, c’est un duo. Mais pour vos concerts, vous recrutez d’autres musiciens sur place. Pourquoi avoir choisi un tel système ? 

En fait, on a commencé en tant que duo pour des raisons logistiques. Parce qu’il ne nous faut que deux visas à chaque fois que l’on voyage, au lieu de quatre si on avait un batteur et un bassiste. On a donc choisi d’embaucher des musiciens à chaque fois que l’on allait jouer quelque part. C’est comme cela que ça a pris.
Mais les Wanton Bishops, c’est une famille. On a commencé en duo, Eddy (guitariste) et moi, mais ajourd’hui, Eddy exerce toujours son métier de banquier à Beyrouth, et ne peut plus faire de longues tournées. Du coup, un nouveau guitariste le remplace, et amène sa propre palette d’influences au groupe. Eddy est toujours avec nous pour le studio. C’est une famille qui s’agrandit, qui est flexible.

Votre premier album, Sleep With The Lights On, a un côté rapide, urgent… Au delà des influences blues et sixties évidentes, votre musique est elle inspirée par l’environnement dans lequel vous avez grandi, Le Liban, Beyrouth, le Moyen-Orient ?

Certainement, mais à l’époque du premier album, nous ne sentions pas cette influence. Je pense qu’on était en révolte contre notre culture elle-même. On faisait de la musique occidentale, point barre. Après, les  critiques nous ont un peu ouvert les yeux sur ce côté moyen-oriental dans notre musique, et cette urgence qu’on ne peut que blâmer sur Beyrouth en fait. C’est comme ça qu’on vit là-bas. Il y a une urgence de vivre, il y a un certain manque de visibilité du futur qui fait que l’on vit vraiment le moment présent. On ne sait jamais si on va… survivre quoi. Après, c’est quelque chose qui n’est pas très prégnant dans nos paroles, puisqu’on parle de femmes, d’histoires d’amour et de choses comme ça. Mais ça reste de l’amour à la sauvette (rires).

Il y a quelques mois, Red Bull Music a sorti un film documentaire qui montre le groupe embarqué dans un voyage initiatique entre Beyrouth et le sud des Etats-Unis.  Cette expérience a t-elle fait évoluer votre son ?

Beaucoup. On a été là-bas pour trouver nos sources musicales. Et ce qu’on a trouvé, c’est un très bel accueil des bluesmen de là bas, mais qui nous disaient : « notre blues vous le faîtes très bien, mais le votre il est où ? ». C’est là qu’on a compris qu’on était en conflit avec nos sources. Nos nouveaux morceaux intègrent beaucoup plus ce que l’on est. On apprend, on évolue. Je défend toujours le premier album, mais le deuxième va porter l’âme des Wanton Bishops, la vraie.
Il y aura beaucoup d’influences d’une certaine musique très spécifique en Orient qui s’appelle la musique du Tarap. C’est la musique de l’enchantement, de l’improvisation, assez proche du blues finalement. Depuis quelques temps, j’utilise également un oud en concert. Mais je l’ai mis un peu aux stéroïdes, au fuzz, aux effets de guitare. Ce qui fait un son très sympa, bien psychédélique et bien rock’n’roll.

Vous avez du succès en Europe, notamment en France. Mais vous avez aussi joué en Inde et en Afrique du Sud… Vous arrive t-il de vous produire dans le monde arabe, hormis au Liban ?

On a fait le Maroc, l’Égypte, les Émirats et Dubaï plusieurs fois, on a joué en Jordanie où on est très bien accueilli. En Turquie également. La Syrie, on n’a pas pu avec la guerre…  Mais surtout beaucoup de pays d’Europe. Reste l’éternel problème du visa, qui est un casse-tête qu’on essaie toujours de régler.

Au-delà des paroles de vos chansons, peu engagées, les Wanton Bishops semblent se politiser sur les réseaux sociaux. Avec notamment des messages sur les mouvements sociaux, la religion… Pourquoi ne pas intégrer ces positions dans votre musique ?

De la même manière, pour le premier album, on a un peu réfuté tout cela, on en est restés loin. On est vraiment restés dans l’intime, dans le relationnel. Maintenant, et de plus en plus, on a envie de parler de ces sujets là. On en parle surtout à travers les femmes. C’est très important pour moi, qui écris les paroles. Je pense que toute révolution qui va se faire, va passer par l’évocation des conditions des femmes. Une femme libre peut éduquer un gamin libre, qui réfléchit. Et  produit une société équilibrée et libre.

Merci Nader.

The Wanton Bishops seront en tournée cet été, avant la sortie de leur nouvel album fin août.
Site officiel du groupe.
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Le film de Red Bull Music : The Wanton Bishops – Walk It Home