Pour cette première revue de presse de son réseau de médias partenaires, le Labomed s’est intéressé aux signaux d’une jeunesse en quête de repères identitaires.

 Réalisation: Sébastien Gély, Paul & Luc Herincx

Les 20 et 21 avril derniers, dans les villes tunisiennes de Keirouan et Jendouba, des lycéens ont affiché des drapeaux à la gloire de Daech et d’Adolf Hitler pendant les épreuves du baccalauréat. Une semaine plus tôt, à partir de données publiques publiées par l’Etat, le pure player tunisien Inkyfada proposait justement un état des lieux de l’éducation en Tunisie. A travers une analyse écrite couplée de graphiques, Inkyfada explique qu’il existe une « coupure nette entre le cycle primaire et le cycle secondaire, qui est valable de manière globale pour toutes les régions du pays à l’exception de la capitale ». Ceci sous-tendrait 2 choses : « une fuite des élèves à partir de la 6ème année, et un problème d’encadrement et de surpeuplement des classes».

Inkyfada pointe aussi le fait que les 13 universités que compte la Tunisie sont inégalement réparties,  seulement 8 des 24 gouvernorats tunisiens disposent d’une université. En fait,

 « seuls les gouvernorats avoisinant la capitale et les régions côtières disposent d’une palette de choix d’universités, d’instituts ou d’écoles».

 

« Salle de classe » d’une école primaire publique dans la région de Sidi Bouzid. Crédit photo: Aymen Omrani

« Salle de classe » d’une école primaire publique dans la région de Sidi Bouzid. Crédit photo: Aymen Omrani

Ces territoires délaissés sont justement le terrain d’enquête du Tunisie Bondy Blog. En mars dernier, il nous emmenait à Gafsa, Kasserine et Sidi Bouzid.

« Dans ces régions, le départ de nombreux jeunes s’est accéléré ces derniers mois, certains vers l’Europe, d’autres, empruntant les mêmes voies d’évasion, vont en Syrie, en Irak ou en Libye. Le désœuvrement des jeunes, très fort dans les quartiers populaires, rend facile leur embrigadement. »

Le Tunisie Bondy Blog nous conte l’histoire d’Abdallah, père de Selim (prénom d’emprunt) 21 ans,  qui  « s’est battu durant une année pour que son fils ne tombe pas entre les mains d’un ‘émir’ autoproclamé qui s’est approché de lui à Gafsa ». Sorti du système scolaire, très pratiquant,  Sélim fréquente parfois la mosquée. Le fils d’Abdallah était une cible de choix pour ces réseaux. Abdallah a décidé de l’envoyer à Sousse, dans une « école qui coûte cher » pour l’éloigner.

L’influence des réseaux takfaristes, ou de salafisme de combat, est pesante, dans ces villes reculées du centre de la Tunisie. Et pour obtenir des informations, il est fréquent que les autorités pratiquent la torture.

Quand certains lisent le Coran à l'envers... / Caricature de Kadour pour le Tunisie Bondy Blog

Quand certains lisent le Coran à l’envers… Caricature de Kadour pour le Tunisie Bondy Blog

En Egypte aussi, la jeunesse doit composer  avec la répression. On apprend sur Mada Masr que la jeune webradio Gramafoon, qui était sur le point de fêter ses 4 ans, a préféré arrêter d’émettre suite à l’annonce d’un projet de loi menaçant du gouvernement. L’Etat égyptien contrôle déjà totalement la radio et la télévision. Et ce projet de loi assez flou limite de façon draconienne la diffusion des radios en ligne. Ahmed Kamal, le fondateur de Gramafoon, explique qu’interprété au pied de la lettre,

« cet article est un acte de censure extrême, qui peut s’appliquer aussi bien aux institutions, aux plus grand médias nationaux et aux plus petites chaines Youtube ».

 

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Gramafoon

En réaction à cette nouvelle, l’audience de Gramafoon, assez large et fidèle selon Mada Masr, a manifestée son mécontentement. Ce qui encourage Ahmed Kamal à penser que ce n’est qu’une fermeture temporaire. En attendant, Gramafoon a trouvé la parade puisqu’elle propose ses archives en torrent. Gramafoon était une radio très attachée au patrimoine national puisqu’elle diffusait principalement des archives de musique égyptienne. Son slogan était d’ailleurs « we play the forgotten ».

Un autre groupe de jeunes, lui aussi fortement attaché à l’héritage et à la mémoire de son pays, est à l’origine de la marche nocturne commémorant le génocide Arménien qui se tient tous les ans à Yerevan, la capital Arménienne.  C’est Mashallah News qui revient sur l’historique de cette commémoration, qui date de 1999. Le 23 avril de cette année là, la branche jeunesse de la fédération révolutionnaire Arménienne grimpait pour la première fois avec des flambeaux au sommet de la colline où se situe le mémorial du génocide. Cela fait maintenant un siècle qu’1,5 million d’arméniens ont perdu la vie entre 1915 et 1923, à l’époque de l’empire Ottoman. Pour Clément Girardot, le journaliste de Mashallah,

« le but de cette marche est d’envoyer un message à la Turquie et au reste du monde, pour rappeler que les Arméniens attendent toujours que justice soit rendue. C’est devenu une tradition à laquelle s’est joint une plus large partie de la population, mais qui reste majoritairement pratiquée par les jeunes ».

 

photo Mashallah News

La marche aux flambeaux sur la colline de Tsitsernakaber –  photo Mashallah News

Dans ces pays du pourtour méditerranéen en perpétuelle mutation comme l’Egypte, la Tunisie et l’Arménie, les possibilités de se créer une réelle culture « jeune » sont bridées ,et l’enseignement ne s’est pas réellement démocratisé. En s’accrochant aux différents repères identitaires qui l’entourent, la jeunesse tente alors de se construire par soi-même.