Chronique diffusée sur les ondes de Grenouille dans le cadre de l’émission publique « Où sont les femmes? », enregistrée le 14 mars 2015 à la Villa Méditerranée. Podcast ici.
Qu’est-ce qu’être une femme à Marseille ?
C’était la journée de la femme la semaine dernière. A cette occasion, l’élue marseillaise chargée du droit des femmes, Nora Peziosi, a trouvé de bon goût d’inviter 750 femmes des quartiers nord et sud de Marseille au… cabaret. Oui oui, tout à fait ! Elle a probablement estimé que les seins nus, les plumes et les paillettes seraient le meilleur moyen de fêter l’émancipation féminine.
Bien sûr, la proposition a aussitôt fait scandale. Chacun y est allé de son indignation. Pascale Boistard, secrétaire d’État au droit des femmes, a qualifié cette initiative de « honte » pour la ville de Marseille, Sylvie Guillaume, euro-députée a parlé de « provocation », Geneviève Couraud, président de l’observatoire du droit des femmes, a dénoncé une « vision des femmes qui n’honore personne. » Bref, autant dire que l’idée des plumes ne leur a pas plu…
Mais mettons de côté le débat sur le goût relativement douteux de l’initiative. En réalité, quel est le plus ridicule entre les danseuses à poil et à plumes, et l’indignation pudibonde de ceux qui s’érigent en défenseurs des femmes ? Quelle est la légitimité de ces personnes pour nous dire à nous, les femmes, ce qu’il est convenable ou non de faire, ou de voir ? Ce qui respecte ou non notre soi-disant « dignité », notre « honneur » ? N’est-ce pas le plus souvent lorsque l’on veut protéger l’honneur des femmes à leur place qu’on les opprime le plus ? Marseille est une ville où l’on peut trouver dans la même rue, des femmes en jupe courte, des femmes en pantalon, des femmes voilées, non voilées, des femmes même à moitié nues. Il n’y en a pas une qui soit plus digne qu’une autre.
Cette polémique sur le cabaret n’est que le pendant des polémiques sur le voile islamique qui agitent beaucoup Marseille aujourd’hui. Qui a le droit de dire que toutes les femmes voilées sont opprimées ? Qui a le droit de dire que toutes les danseuses de cabaret sont soumises au désir masculin ? Dans les deux cas, c’est le corps de la femme qui est en cause. Dans les deux cas, certains s’arrogent le droit de parler au nom de toutes les femmes pour déterminer ce qu’il est décent ou non de faire de leur corps. N’est-ce pas la plus grande des libertés de pouvoir danser nue si l’on en a envie ? Mais n’est-ce pas aussi la plus grande des libertés de pouvoir se voiler si on le désire ? De pouvoir choisir de montrer ou non son corps ? Le féminisme s’égare dès lors qu’il tente de fixer une norme.
Dans une ville multiculturelle comme Marseille, qui fait le pont entre les deux rives de la Méditerranée, il est essentiel de préserver cette magnifique pluralité des manières de vivre son corps en tant que femme.
La nudité la plus inconvenante n’est pas celle du corps, c’est celle de l’esprit.