Le 8 mars, c’était la journée de la femme. Et donc vu que je suis une fille, c’était un peu ma journée quoi. Il fallait vite que j’en profite : une petite séance d’épilation, une panoplie de réductions sur mes cosmétiques préférés… c’est génial ! J’allais enfin pouvoir appliquer à la lettre les conseils beauté de mon magazine féminin acheté la semaine dernière ! Mais attends… C’est une journée pour lutter internationalement pour les droits des femmes, à la base, non ? Et en fait, on veut me faire acheter des trucs pour que je rentre dans les stéréotypes féminins ? Je me fais un peu avoir là, non ? Merci la presse féminine, et surtout, la publicité qui la finance…
Au départ pourtant, ce n’était pas du tout ça. En France cette presse commence à se développer à la fin du 19ème siècle, notamment avec l’emblématique journal La Fronde. On pouvait y trouver des revendications féministes, des chroniques historiques, des pages boursières et des grands reportages. Il inaugurait le journalisme moderne au féminin. Plus tard, Elle et Marie-Claire seront les étendards de la lutte pour l’émancipation de la femme.
Mais alors comment se fait-il que ces mêmes magazines se retrouvent aujourd’hui vidés de tout esprit féministe ? Parce que moi personnellement, quand je vais au rayon « féminin » dans un kiosque, j’ai plutôt l’impression qu’on veut me conditionner à être une bonne consommatrice de crème de jour et non qu’on cherche à m’apprendre des choses intéressantes sur l’avenir de la condition féminine. A l’exception de Causette, MademoiZelle, ou encore de Paulette qui proposent quelque chose de différent, on peut se demander si ces magazines considèrent que le combat féministe est terminé. Est-ce que la femme libérée de 2015 n’en a vraiment que faire de parler des différences de salaire avec les hommes ou du harcèlement de rue et préfère consulter ses 20 conseils régime bikini ? Cette femme libérée, et soit dit en passant toujours jeune, mince, blanche et hétéro, n’est pas à l’image de la Française d’aujourd’hui. Impossible de se reconnaître chez cette fille là, qui nous rappelle qu’on est jamais assez bien.
Partant de cette idée, j’ai voulu me demander quel était le rapport des femmes avec la presse féminine de l’autre côté de la Méditerranée. Déjà, si on prend le point de vue des femmes maghrébines de France, il y a bien sûr Gazelle, qui est désormais diffusé en Belgique, en Suisse, au Quebec, au Maroc et en Algérie. Là on a à faire à un magazine plutôt riche qui s’adresse aux femmes de culture musulmane, avec autant de contenu sur des thèmes d’actualité et de société, que de pages beauté et mode, le tout entrecoupé par des publicités pour des robes orientales. Savant mélange de tradition et de modernité, de légèreté et de sujets sérieux, avec une rubrique « amour et mariage », des astuces « SOS mes cheveux manquent de volume » ou des articles sur la cuisine halal, le magazine aborde aussi des thèmes actuels : la religion avec « musulmans et laïc » ou « comment gagner sa vie en étant voilée », la politique « la gauche couscous, au pays du couscous », et même la question du genre « ma fille est un garçon manqué ». Une façon de parler aux femmes qui sont de double-culture qui aiment les belles robes, et qui ont aussi un cerveau.
Comme en France à l’origine, au Maghreb cette presse était faite par des femmes et pour des femmes. Le mensuel marocain 8 Mars, lancé en 1983, a non seulement été bénéfique à l’évolution de la presse marocaine, mais a aussi permis de poser la question de la femme sur un plan politique et a servi de point de départ pour de nombreuses organisations féminines.
Mais depuis les années 90, l’essor de la presse féminine au Maghreb a subi l’influence des magazines occidentaux, pour le meilleur et pour le pire. Ces magazines ont permis d’offrir un espace d’expression aux femmes, et d’accompagner les mouvements féministes. Par exemple, aujourd’hui on a un magazine comme Femme du Maroc, qui se défini comme féminin et militant. Ou encore Dzeriet, un mensuel au ton un peu plus léger que toutes les Algériennes connaissent. Cette presse propose de plus en plus de contenus en arabe, et se modernise en s’adressant à un plus grand nombre de femmes. Elle connait un succès grandissant auprès des femmes arabophones et francophones, majoritairement actives et instruites. Seulement, l’accumulation des pages modes et beautés inspirées de la société de consommation occidentale renvoie à l’image d’une femme qui ne correspond pas à ses lectrices. Il y a donc un risque que ces magazines soient soumis à une certaine « norme », la même que celle qui régie la majorité des versions française, et donc, que loin d’aider les femmes à s’émanciper, ils les enferment dans des stéréotypes de la «femme moderne », qui en fait, n’est pas vraiment libre.