Hofesh Shechter n’est pas un chorégraphe comme les autres. Son programme DeGeneration, constitué de trois chorégraphies, est singulier à plusieurs égards. Désireux de briser les habitudes, le chorégraphe a pris la décision de faire appel à de jeunes danseurs talentueux : sa compagnie junior.

 

Ses membres, choisis après un casting rassemblant plus de 1000 participants, sont agés de 18 à 25 ans . Autre particularité, et non des moindres, Hofesh Shechter est un touche à tout, il conçoit ses généralement projets de A à Z. Artiste complet, batteur, percussioniste, il compose souvent lui-même la musique pour ses prestations. En somme, nous avons affaire à un David Lynch du ballet. En résulte une ambiance sonore onirique, aggressive et percussive par moments, mais toujours cohérente par rapport à ses chorégraphies et au message qu’il souhaite véhiculer. Oreilles sensibles s’abstenir : Hofesh Shechter n’hésite pas à (beaucoup) monter le volume sonore à plusieurs reprises lors de la représentation. Une décision légitime cependant, lorsqu’on voit à quel point elle contribue à faire de ces trois chorégraphies une véritable expérience sensorielle pour le spectateur.
La Criée, à Marseille : les lumières s’éteignent lentement dans la salle, le brouhaha ambiant fait place à un silence attentif. Un léger brouillard bleuté flotte sur la scène. Puis la musique rugit, et les danseurs font leur entrée. Ils sont six. Leurs mouvements sont explosifs mais aussi saccadés, habités, tout en force. Ils rampent, se couchent, font le dos rond, tournoient sur eux-même. Une voix de femme annonce « Something to fight for, something to live for, something to die for« . C’est maintenant une certitude, Cult, la première pièce présentée, traite des grandes causes dans lesquelles l’être humain peut se lancer à corps perdu, de celles qui dépassent l’individu, et qui en valent la peine.
Un entracte plus tard, un duo fait son entrée. Fragments, dont la conception date de 2003 est la première pièce d’Hofesh Shechter, et la deuxième pièce du spectacle. Elle met en scène, non sans humour, un homme et une femme lors d’une joute amoureuse. Ils se fuient, se rapprochent, se pourchassent, comme deux papillons qui se feraient la cour. Les deux danseurs miment ensuite un combat à l’épée, qui accentue la dimension martiale de la romance, et qui rappelle qu’entre amour et haine il n’y a qu’un pas. La bande son, volontairement décalée, amène une pointe d’ironie.
Enfin les huit danseurs se retrouvent sur scène. Le décor est de nouveau embrumé. Cette troisième, et dernière pièce, intitulée Disappearing Act, est toute récente : elle a été créée cette année. La lumière y occupe un rôle primordial : elle permet de mettre au jour, mais également de masquer, de dissimuler. Et Hofesh Shechter ne s’en prive pas. Il réussit à opposer l’individu au groupe, l’être seul à la multitude, en faisant disparaître tantôt l’un, tantôt l’autre. La chorégraphie en est dynamisée, mise en valeur. Les danseurs exposent par leurs mouvements cette fracture fondamentale et métaphysique, ils dansent parfois à l’unisson, puis s’écartent d’un groupe qui se désagrège et se reforme sans cesse. Le final conclue sur une note optimiste le travail sur la notion de « structure » opéré par Hofesh Shechter au fil de ces trois pièces. Trois pièces dont on peut dire qu’elles offrent un bel éventail de ses créations.

Vincent Veillon

Hofesh Shechter
Cult / Fragments / Disappearing Act
jeu 25 juin, 21 h
La Criée, Théâtre national de Marseille