Le Festival de Marseille fête ses vingt ans et Marseille : depuis sa création Apolline Quintrand en assume l’âme, profondément marseillaise et universaliste, loin de tout folklore épidermique, dans une relation intime à cette ville sentie dans son histoire et vécue dans son présent, de sa puissance passée à sa ruine et sa volonté de renaissance.
Avec l’image symbolique du petit plongeur de Paestum, dès 1996, plongeon dans la Méditerranée, hommage à Blaise Cendrars, Rafael Alberti, Albert Londres… ondes s’élargissant aux rivages et visages divers d’une cité ouverte aux quatre horizons de la rose des vents.
Le festival occupa d’abord la Vieille Charité du génial Pierre Puget, architecte baroque local rejeté par Versailles. Étages de paupières rêveuses d’arcades aveugles, avides de regard sur la coupole ovoïde coiffant le théâtre intérieur de la chapelle, bâtie dans cette rare pierre rose de l’Estaque. L’Histoire pétrie dans la chair d’une pierre.
De la pierre rose encore vive au béton gris du petit et doux théâtre de la Sucrière Saint-Louis, le Festival se lova dans l’humble écrin au cœur ouvrier des quartiers nord, blotti au pied de l’austère forteresse des Raffineries de sucre, où des arbres anciens, témoins d’amère et amène mémoire ouvrière marseillaise, semblent veiller encore sur l’immense et désormais inutile gare d’Arenc d’où les rails infinis partent pour nulle part.
Le Festival, qui faisait danser la chair dans la pierre, l’éphémère dans l’éternité, trouva aussi un cadre mouvant, émouvant, dans le théâtre végétal du parc Henri Fabre, alliant la danse à la chorégraphie éolienne des arbres immenses, autour de la majesté d’un micocoulier géant.
2008 : le Festival s’ancrait dans le saint du saint de Marseille, au cœur du Port Autonome, le cœur encore battant de la puissance marchande de la ville, le cœur blessé de sa ruine après la perte des colonies, le cœur saignant des durs conflits sur la réforme portuaire, le cœur palpitant de la question de ce renouveau espéré. Alliance de l’art et du labeur, artisan au sens noble du terme, le Festival, cette année là, voit et vise juste au Marseille profond, celui du travail.
Le Hangar 15 fut le lieu symbolique de spectacles marquants et d’une exposition emblématique : Dance is a weapon (‘La danse est une arme’). L’art sortait enfin de sa tour d’ivoire égoïste, posait une interrogation individuelle sur le destin collectif, disait le combat permanent au sein de la cité.
Par delà les lourdeurs logistiques, les contraintes douanières et techniques, le Festival fit accoster des milliers de pèlerins-spectateurs et dressa un théâtre dans cette immense et austère cathédrale du travail, tôle ondulée sur môle rectiligne, face à la jetée du large où des transats et des tapis à même le sol permettaient ce face à face méditatif avec la mer. Ou avec le présent et le passé de Marseille.
Puis, chassé du Hangar 15, en 2009, le 15e Festival se réfugia dans la salle Vallier, imprégnée de la sueur d’anciens combats de boxe, de meetings enflammés et de concerts fiévreux : 15e round victorieux avant de s’abriter au Silo, solitaire vigie nostalgique des grains nourriciers, vestige d’autrefois devenu visage d’un Marseille d’aujourd’hui regardant le passé mais affrontant l’avenir. Il est devenu depuis le port d’attache du Festival.
Un voyage au long cours de vingt ans qui a dessiné, à l’image de sa fondatrice, un portrait généreux, éthique et sensible, en un mot, citoyen, de la cité marseillaise.
Benito Pelegrín,
Écrivain, agrégé, docteur d’État, professeur émérite des universités.