Par Emmanuel Riondé

C’était sûr, c’était obligé, ça ne pouvait pas ne pas arriver. Et il ne nous a pas déçu. Bernard-Henri Lévy veut sauver Kobané. Comment dire… On en a les larmes aux yeux. D’autant plus que maintenant qu’il n’a plus à s’inquiéter pour sa pièce de théâtre  (qui, paraît-il – mais là, pour être sûr, faut demander à Hollande, Valls et Sarko, ils l’ont vu – raconte l’histoire d’un homme qui veut sauver la Bosnie en écrivant un discours de politique européenne enfermé dans sa chambre d’hôtel. Bon.), on sait qu’il va vraiment avoir le temps. De sauver Kobané.

Quelques articles intéressants sont sortis ces derniers jours, rapport à la situation de cette ville à l’extrême-nord de la Syrie où depuis plusieurs semaines les troupes de l’EI affrontent les combattant-e-s kurdes. Par exemple ceux de l’anthropologue David Graeber , du géographe Cyril Roussel ou du philosophe italien Sandro Mezzadra.

Trois papiers, parmi d’autres, dont le mérite est de mettre en valeur ou au moins d’évoquer l’expérience politique qui se déroule au sein de la région kurde auto-administrée du Rojawa au nord de la Syrie. Démocratie directe, assemblées populaires, conseils de femmes et de jeunes… Graeber évoque « le municipalisme libertaire » et fait référence aux « rebelles zapatistes du Chiapas ».

BHL, non. Cet homme, l’une des figures les plus éclairée de la phalange d’intellos médiatiques français qui nous expliquent le monde et mouillent la chemise dès que se pointent les méchants, a choisi de parler d’autre chose, à propos de Kobané. Dans une tribune publiée par Libération, il parle, lui, du « miracle insensé de la résistance », des « fous d’allah », de cette ville « avant-garde (de) la coalition », de la nécessité « de vérifier la fiabilité des alliances et du système de sécurité collective mis en place dans la région au lendemain de la seconde guerre mondiale » et du (attention, c’est du lourd) « Kurdistan laïque, incarnation s’il en est des valeurs de modération et de droit que les chancelleries appellent de leurs vœux en terre d’Islam ». Et là, la chemise (blanchouvertesurpoitrailglabre, toujours), BHL, il te la détrempe carrément. Avec quelques manies étranges.

D’abord cette façon systématique de convoquer la guerre d’Espagne (Graeber l’évoque aussi mais pas comme une figure de style récurrente, plutôt pour ébaucher un lien politique et historique entre les deux situations). Ah! BHL et la guerre d’Espagne… Déjà, lors du conflit de l’été 2006 entre Israël et le Hezbollah, il n’avait pas pu s’empêcher de faire le rapprochement. Bien qu’un peu agaçante à la longue, cette constance est réconfortante, c’est un gage de fidélité à la cause : BHL est un vrai républicain antifasciste, la preuve, il parle tout le temps de la guerre d’Espagne.

Ensuite, cette capacité à rendre compte, toujours humblement et sans ambiguité aucune, de son expérience physique des sujets dont il traite. Ainsi donc quand il évoque, à Kobané, « la bataille (qui) se joue au corps à corps, ruelle par ruelle, presque maison par maison, dans les faubourgs de la ville » on se dit que ce mec, tout ce qu’il a vécu à Sarajevo, à Tripoli et en Afghanistan, c’est quand même impressionnant, hein ? Hou là là. Y’a qu’à voir toutes les photos qui traînent de lui sur les « théâtres des opérations » du monde entier. Il sait ce que c’est, lui, les combats au corps à corps. En plus, il connaît vachement bien les combattants kurdes du nord de la Syrie. Pour ne pas trop nous embrouiller la tête, il les appelle les Peshmergas alors qu’en fait ce sont les combattants des Unités de protection populaire. Les Peshmergas, ce sont notamment les troupes de Barzani (en Irak) qui n’est pas exactement embarqué sur la même trajectoire idéologique que Ocalan (le leader emprisonné du PKK dont est proche le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde syrien). Mais bon, là ça devient un peu compliqué et « Peshmergas », c’est plus simple que « Unité de protection populaire », ça sonne moins marxiste. On vous rappelle que l’enjeu c’est de libérer Kobané et on ne va pas s’embêter avec des détails.

Enfin, son talent pour la mise en scène historique. Par exemple en évoquant « la longue et terrible liste des villes martyres des dernières décennies ». Dans l’ordre : Guernica, Coventry, Stalingrad, Sarajevo, Grozny et Alep, dont Kobané serait la digne héritière. Jénine, Bagdad, Kaboul, Gaza, connais pas. Enfin si connais. Connais bien, même : ce sont des endroits où gargouille le fascislamisme. Parce que en plus d’être républicain, antifasciste et courageux donc, BHL est aux avant postes du combat contre le « fascisme vert ». C’est audacieux et tellement dangereux comme position qu’il ne l’évoque souvent qu’à coup de sous-entendus finauds ou de point de suspension artistiques, voire carrément les deux. Exemple : quand il évoque les « combattantes » kurdes il écrit « (eh oui ! ses combattantes…) ». Et là, tout est important : la parenthèse, c’est pour nous signaler une incise : je vais commenter avec intelligence l’information inédite que je viens de vous livrer. Le « eh oui ! », c’est pour faire savoir qu’il observe notre naïveté avec bienveillance. Les trois points c’est pour délivrer le message : dans cette région où les muslimsfachosbarbus font rien qu’à bâcher les femmes, il existe une population qui résiste: les Peshmergas kurdes, enfin bon les Peshmergates, enfin bon, y’a des gens là-bas qu’il faut aider à repousser les Arabes, point barre. Du grand art.

Servi par quelque chose qu’il est difficile de passer sous silence quand on évoque BHL : le style. Le staïle. Le stayïle. Et on voudrait ici, une fois dans notre vie, essayer de finir un texte comme lui seul ose le faire, de nos jours. Allez on essaye. En annonçant de façon définitive un truc qui n’arrivera pas mais dont on aimerait tellement que ça arrive un jour :

BHL va tomber. Il va finir par fermer sa gueule. Et arrêter de nous fatiguer avec ses banalités pathétiques et son néoconservatisme au fond de sauce social-démocrate. C’est une question d’heures. De jours peut-être. De mois. D’années ? En tout cas, c’est pour bientôt. Sa pièce de théâtre terrassée un mois avant la date prévue, c’est le début de la fin. Zéro public. Un carnage artistique. Guernica… (Et d’ailleurs… l’Espagne va enfin pouvoir respirer tranquille. On est content pour elle.)