Propos recueillis par Camille Bordenet – interview de Nicolas Haeringer parue sur le site du Monde, le 14 décembre 2014.
Qui sont les « zadistes » ? Comment tenter de définir ce mouvement, alors que leurs profils et leurs motivations sont disparates ?
Nicolas Haeringer : Je comprends qu’on souhaite labelliser les mouvements émergents car c’est un enjeu de compréhension. Mais il faut résister au maximum à cette tentation pour au moins deux raisons : la première, c’est qu’en essayant de coller un label sur les zadistes, on adopte très vite le jargon des autorités et de la police.
Elles ont besoin d’assigner des identités aux zadistes, de les figer dans des catégories existantes pour savoir comment les traiter – en l’occurrence pour justifier qu’il n’est pas possible de dialoguer avec eux et qu’il faut donc faire le choix de la répression. La seconde, c’est qu’on renonce ainsi à saisir tout ce qui se joue de nouveau dans ces mobilisations, dans des pratiques et des expérimentations dont le propre est précisément de faire évoluer les identités hors des catégories existantes.
Que revendiquent les uns et les autres ?
Ce ne sont pas seulement des revendications environnementales. Les mobilisations se jouent aussi autour de revendications liées à la démocratie. Il y a notamment un enjeu autour de l’idée d’une égalité absolue : tout le monde, et non les seuls élus, doit pouvoir participer aux décisions et est fondé à les remettre en cause.
Dans les ZAD, on voit aussi apparaître de nouveaux acteurs et de nouvelles revendications : comme, par exemple, les naturalistes en lutte, des personnes qui se mobilisent pour recenser les espèces animales ou végétales menacées par ces projets. Que ce soit de la permaculture, de l’agro-écologie ou des formes d’habitat alternatives, l’expérimentation occupe une place centrale dans les ZAD : il s’agit de préfigurer d’autres modes de vie, durables, décarbonés. Les zadistes veulent préfigurer une société qui fonctionne sur d’autres bases que la prédation des ressources naturelles. Ce ne sont donc pas uniquement des occupations défensives.
Qu’est-il alors en train de se jouer avec ces mobilisations ?
On peut émettre deux hypothèses. La première – formulée notamment par le Comité invisible – est que dans la période actuelle, l’enjeu des luttes est devenu le territoire. Dans le cas présent : comment se construisent les politiques d’aménagement du territoire ? Comment intègre-t-on des données nouvelles, qui doivent conduire à réviser des décisions d’aménagement prises il y a dix, vingt, voire cinquante ans [comme dans le cas de Notre-Dame-des-Landes] ?
La seconde est que, de Notre-Dame-des-Landes à Sivens, ce qui se joue désormais, ce sont des résistances à l’« extractivisme » – les activités d’extraction de grands volumes de ressources naturelles, qu’elles soient agraires, pétrolières ou forestières. Le front de l’extractivisme était jusqu’à présent principalement situé dans les pays du Sud. Il se déplace désormais vers les pays du Nord, qu’il s’agisse des sables bitumineux de l’Alberta, des gaz de schistes, de la promotion du tourisme de masse [par la construction d’aéroports ou de parcs de loisirs], ou encore du soutien aux projets d’agriculture industrielle [à Sivens comme avec la ferme des Mille Vaches]. Ce qui se joue dans les ZAD est donc double : la résistance à l’extractivisme et l’invention ou la préfiguration d’autres modes de vie, d’un futur décarboné.