De l’âme et du corps.

Loin d’être seulement une idée religieuse, cette dissociation de notre être est bien de l’ordre de notre société moderne – société de ségrégation des corps, toujours plus disciplinés, toujours plus réduits à leurs expressions les plus simples.

 

 

Mais on préfère conjuguer notre pensée au singulier, prendre soin de notre corps comme un objet extérieur, objet de désir ou de bien être… et jamais on ne le replace comme quelque chose de collectif, c’est-à-dire dont le traitement est commun : NOS corps.

Nos incarnations physiques, enjeux de pouvoir peut-être même plus que nos pensées…« L’âme, prison du corps ». Car il ne sert à rien d’accaparer une âme seule. Pire même : il s’agit d’utiliser nos esprits pour atteindre le but final : les corps.

Sans cela, on obtient seulement le regard volontairement vide de l’esclave, qui ne donne rien à son maître, et qui le soir puise en lui l’énergie pour danser. Il faut que le corps ne puisse pas non plus échapper à l’aliénation. Il faut qu’il soit contraint, corseté toujours plus – d’abord au sens premier, puis bien sur, vous le savez, de façon invisible. Personne ne voit les cordes qui immobilisent progressivement le corps de l’enfant et l’empêchent à jamais de continuer à faire ces mouvements : sauter, mettre son bras à gauche, s’asseoir de travers… Ce n’est pas la marionnette qui s’anime, mais le petit corps qui se transforme en bois – assis, debout, couché – que faire d’autre…

Et si par malheur il bouge un peu trop, ou si par dépit il se cabre, quelques pilules colorées sauront le ramener à la raison, à la norme, à la multitude d’uniformes derrière lesquels se placer. On oublie en passant que les révolutions dépendent aussi des corps – et que lorsqu’on aura perdue l’envie de se battre pour leurs liberté, on ne pourra plus que la recréer sur les écrans d’un monde presque glacé.

C’est vrai pourtant qu’il est facile d’y croire : il y a aussi une beauté dans ce corps machine, et une sérénité dans la répétition ; ce sont les plaisirs d’autoroutes, les joies du de l’automatique, ou la satisfaction de voir enfin cette enveloppe se prolonger par une mécanique bien réelle.
On pourrait presque se prendre au jeu s’il n’y avait, trop vite, ce goût de vide qui revient…

Il faudrait sûrement une chronique plus lapidaire, saccadée comme le rythme qu’on nous impose chaque jour. Il faudrait plus que des mots pour décrire les pulsions de vie que l’on étouffe, les corps qui se libèrent pour de brefs instants, ces moments de répit qu’on s’acharne à ne pas comprendre.

Et pourtant, on ne peut se résoudre ; et il faut continuer à croire que rien ne peut faire taire nos mouvements. Ni l’acier ni les choses que l’on murmure ; rien.

Corps, relevez-nous toujours. Toutes les nuits, rappelez nous à vous, pour prouver encore, encore, et encore, que, dans une économie qui défie tout calcul, plus on prend votre énergie, plus vous en avez à revendre. Corps offensés, ayez pitié de nos âmes ; et continuez à réveiller vos maîtres….

Naoual Fassal