Combien de temps faut-il à un corps pour se redresser que ce qui fut courbé par les siècles trouve à s’étirer que ce qui fut ployé trouve un déploiement

 

 

Combien de temps quand ce fut des siècles se peut-il que les corps d’avant restent en soi combien de temps pour que les corps d’avant soi en soi se redressent et respirent quand c’est des siècles qui les ont courbés et ployés et privés de souffle combien de temps faut-il et reste-t-il encore à attendre quand ce sont des siècles se peut-il que les siècles passent que le monde change que les visages jamais venus se peut-il que les corps ces corps soient encore en soi se peut-il que ce qui fut humilié un jour ne le soit plus que ce qui fut humilié ne revienne pas ne joue plus du boomerang ne courbe plus ni le corps ni les mains ni la tête se peut-il que l’humiliation que je porte ne soit pas la mienne mais celle des siècles des corps d’avant moi se peut-il que je me redresse un jour contre tous ces siècles que je me porte contre tous ces siècles que je me renverse et me bascule ouvrant mon thorax et mes yeux se peut-il quand bien même tout me courbe vers un sol se peut-il que finalement je laisse les siècles pris avec les corps d’avant moi me courber me couler davantage vers ce sol se peut-il que ce qui fut humilié ne le soit plus que les siècles qui me font pencher font pencher les mondes et les hommes se peut-il que nous soyons ainsi penchés pour des siècles parce que les siècles et les siècles courbent les hommes et les enfouissent se peut-il que les hommes que je vois dans la rue la tête penchée penchent parce que leurs corps est penché des corps penchés en eux et penchent ainsi de toutes humiliations faites et perdurant dans les chairs et l’air que nous avalons par delà le temps se peut-il qu’un jour les corps penchés se redressent et respirent et libèrent les yeux vers des jours inattendus où les siècles ne sont plus ce qui fait pencher vers le sol ne sont plus ce qui fait que claudiquant vont et viennent les corps d’avant nous en nous et qui nous font claudiquer comme ce qui nous penche est toujours clopin-clopant et que tout cela nous fait pencher vers le sol et penchant et allant aussi mal que se peut et allant autant que faire se peut encore malgré tout à passer avec les siècles et à passer avec tous ces corps pencher comme ont penché les arbres non pas du vent mais des corps noircis livrés aux pies et aux corbeau depuis les siècles et venant en nous faire pencher les arbres et le monde penche aussi de ce monde de ce corps vers tous ces corps depuis des siècles qui hurlent la faim la misère une douleur sans raison que la faim la misère la douleur fait pencher les corps que la misère toujours courbe la tête il semblerait que tout du monde penche pour que nous penchions toujours plus vers le sol toujours plus bas et c’est de toujours plus bas qu’il faut voir et que nous manquons parfois de voir car c’est comme être trop haut quand on sait que le bas et ce qui sombre ne finit jamais et nous fait pencher et fait que s’engourdissent les mains et les langues que cela donne toujours des bruits étranges comme donnés au sol qui nous attend et nous guette et nous appelle se peut-il que cela cesse que depuis si longtemps ici quelqu’un n’a pas redressé le corps et libéré la main qui se tend et fait des rotations à l’omoplate et fait que le bras projette vers quoi tout fait pencher et donne au monde un nouveau tournis et le fasse tournicoter comme les chats tournicotent quand ils cherchent leur queue tournicotante comme ils cherchent les souris tournicotant dans les trous de l’histoire comme cela devrait se faire que cela devrait se faire sans que cela soit une charge qui alourdit le corps et alourdirait le monde comme le monde ne doit plus être alourdi pour que nos corps ne penchent plus

Amandine André