RETOUR DE PALESTINE

Une délégation composée de huit représentants d’associations membres du REF (Réseau Euromed France) s’est rendue en Palestine afin de rencontrer des associations et personnalités politiques locales. Du 13 au 19 février 2014, Nacer El Idrissi (ATMF), Tarek Ben Hiba (FTCR), Marc Mercier et Naïk M’Sili (Instants Vidéos Numériques et Poétiques), Stéphane Assézat (AP2i), Ahmed Jemai (Agence Act’Médias Presse), Giovanna Tanzarella (Fondation René Seydoux) et Marion Isvi (Chargée de mission du REF) sont allés à Ramallah, Jérusalem, Bethléem, Bil’in, Naplouse et dans la Vallée du Jourdain pour faire le point sur la situation sur place.
Tentative de restitution de ce que nous avons vu et entendu. Ce document a été écrit à partir des notes de voyage de Marc Mercier.

 

13 février
Nous sommes dans l’avion Air France qui nous mène depuis Paris à Tel Aviv. Soudain, une voix nous annonce : « Dans 30 minutes, nous entrerons dans l’espace aérien d’Israël. Nous vous demanderons de ne plus circuler dans la cabine ». Naïk a demandé à un steward les raisons de cette annonce : « Ce sont les Israéliens qui exigent que nous fassions cet appel. Nous sommes même sensés donner les noms des personnes qui n’appliquent pas ces consignes. »
Aéroport, quelques interrogatoires prolongés pour trois ou quatre d’entre nous, un pied de caméra cassé… Le soir, Ramallah.Au sortir d’un restaurant, nous assistons à une dispute entre un jeune niché dans une voiture de luxe et un petit groupe de jeunes gens. Nous apprenons que la colère provient du fait que le conducteur est membre d’une famille de riches corrompus, proche de l’Autorité Palestinienne. Nous discutons longuement avec eux de la situation actuelle de la Palestine. Ils ne sont pas très optimistes : « Ils sont forts. Nous sommes faibles ». « Résister, c’est déjà rester vivre en Palestine ». Nous finissons par leur poser deux questions que nous reposerons systématiquement à tous nos interlocuteurs, auxquelles (à notre grande surprise), nous obtiendrons toujours les mêmes réponses :
— Que pensez-vous que nous (étrangers) pouvons faire pour vous aider dans votre lutte pour la libération de la Palestine ? Tous ont répondu : Faire connaître cette initiative non-violente de la société civile palestinienne : le BDS (Boycott. Désinvestissement. Sanctions).
— Que souhaitez-vous ? Deux états ou un seul ? Tous répondent qu’étant donné l’état d’avancement de la colonisation, du morcellement de la Cisjordanie, de la coupure avec Gaza, la solution des deux Etats n’est plus sérieusement envisageable. Nous voulons un seul Etat. Une Palestine laïque dans laquelle vivront ensemble des musulmans, chrétiens, juifs, samaritains, athées…

14 février
Matin
Notre délégation se rend au village de Bil’in située à une douzaine de kilomètres à l’ouest de Ramallah, à proximité du mur de séparation israélien et de la colonie de Modin Illit. Depuis la Conférence de Solidarité qui s’est tenue les 20 et 21 février 2006 pour que cesse les expropriations de terres, les Palestiniens ont initié une résistance populaire pacifiste en organisant notamment une manifestation hebdomadaire face au mur. Nous avons pu constater le caractère international de la mobilisation. Certains d’entre nous ont eu le désagrément de tester l’effet sur les yeux et la gorge des bombes lacrymogène lancées par les soldats israéliens, sous les applaudissements de colons regroupés sur une colline derrière le mur. Nous avons aussi rencontré un Palestinien qui a pris l’initiative d’une collecte internationale pour planter 1 millions d’oliviers en remplacement du million arrachés par les colons.

Après-midi
Nous nous rendons à Naplouse. Visite « politique » de la vieille ville qui porte encore les traces des massacres (plus de 500 morts et des milliers de blessés rien qu’entre 2000 et 2005) perpétués par l’armée d’occupation israélienne. Nous sommes reçus par une association d’aide aux jeunes enfants créée après 2002 pour que puisse s’exprimer (par des pratiques artistiques notamment) les traumatismes, et aussi pour tenter de renouer une confiance entre enfants et adultes qui n’ont pas été en capacité de les protéger et qui ne sont pas en mesure de leur assurer un avenir décent. Ils apprennent aussi à inventer collectivement des actes de résistance pacifique, comme rédiger et apporter des messages de paix aux soldats des cheik-points, ou y organiser des piques-niques familiaux auxquels sont conviés les soldats, même si ceux-ci les chassent très rapidement. Ces activités ne visent pas à échapper à la réalité, à évacuer la colère mais à la métamorphoser en une énergie créatrice.
Que faire pour aider l’association ? Ils ont besoin d’échanges d’expériences, d’avoir des éclairages culturels venus d’ailleurs, que nous venions voir la réalité de la vie ici et de témoigner.

15 février
Matin
Vallée du Jourdain. Nous sommes accueillis par des paysans et éleveurs du secteur et l’association UAWC. Jéricho, seule ville palestinienne (25 000 habitants) de la Vallée du Jourdain. Ailleurs, des villages (96% sont en zone C, donc sous contrôle israélien), 21 colonies, des zones militaires… Le Jourdain n’est plus qu’une petite rivière (l’eau est détournée en amont par la Jordanie et Israël), asséchant petit à petit la Mer Morte. 60 000 palestiniens exploitent 5% du territoire, 6 200 israéliens le reste. Seulement 22% de l’eau est accessible aux Palestiniens qui, depuis les accords d’Oslo n’ont plus le droit de forer des puits. Quant aux puits déjà existants, la plupart leur sont interdits. Les terres auxquelles les paysans et éleveurs n’ont plus accès sont soit celles que se sont accaparées les colons, soit des terrains militaires (eux-mêmes cernés par des zones de sécurité), ou des zones jugées « dangereuses » à cause de mines datant de la guerre contre la Jordanie, même si il y a encore peu de temps elles étaient cultivées sans dommage, ou bien des zones de protection de la nature pour préserver des plantes !!! Nous sommes allés dans le village de Bardala qui grâce à une aide internationale a pu construire quelques citernes pour parer aux pénuries d’eau. Nous apprenons aussi que les paysans n’ont pas le droit d’être sur leurs terres avant 6h ni après 18h. Nous roulons en direction d’un village, laissant sur notre passage des colonies entourées d’une végétation abondante qui contraste avec l’aridité des villages palestiniens pourtant juste à côté, soudain nous voyons un panneau en hébreux et en anglais indiquant que cette route mène à un village palestinien et qu’il peut-être dangereux pour un Israélien de l’emprunter. Nous nous arrêtons dans une vallée où nous sommes accueillis près d’un puits « fermés » par un paysan. Derrière lui, l’horizon. Cependant, nous apercevons non loin une ligne droite de terre retournée : « ils » sont en train de construire un nouveau mur » !!!

Soir
Il pleut. Cela peut paraître anecdotique, mais nous pensons aux agriculteurs (pour qui cet eau est la bienvenue) sur le chemin du retour vers Ramallah où nous avons rendez-vous avec deux députés de la gauche palestinienne. Tout d’abord, avec Mustapha Barghail. Il nous fait un exposé (avec des images, des cartes, un film) sur l’évolution déplorable de la situation.
Il nous parle de ses inquiétudes si venait à être adopté le « Plan Kerry », du nom du secrétaire d’Etat américain qui accompagne les négociations actuelles entre Israël et l’Autorité Palestinienne qui s’éloignent des résolutions de l’ONU, remettant en cause le « droit au retour », « Jérusalem Est comme capitale de la Palestine » et même l’idée d’un Etat palestinien indépendant.
Pour modifier le rapport de force à ce jour défavorable aux Palestiniens, Mustapha Barghail préconise la résistance populaire, le BDS et l’unification des forces palestiniennes. Il qualifie les accords d’Oslo de « scélérats ». Il dit que la situation actuelle est comparable à l’Apartheid en s’appuyant sur cette définition : « L’Apartheid, ce sont deux peuples vivant sur une même terre mais avec des droits différents ». Il dit ne pas se battre seulement pour l’indépendance, mais aussi pour la liberté, l’égalité, la justice.
Puis nous rencontrons Khalida Jarrar, députée, mais aussi en charge des dossiers concernant les prisonniers politiques. Elle a la même inquiétude que Mustapha Barghail quant au plan Kerry. Les prisonniers : environ 5000, dont 14 parlementaires, 280 enfants (certains ont 9 ans), 16 femmes, des malades… De nombreux cas de tortures. Pas de véritables procès, car ils sont jugés par des militaires. Sans parler des détentions dites « administratives ». Par ce système hérité du mandat britannique, Israël peut arrêter qui bon lui semble sans accusation, sans jugement pendant 6 mois et reconduire l’emprisonnement sans limitation.
Depuis 1967, près de 750 000 Palestinien-ne-s ont connu la prison. Elle nous propose de soutenir la « campagne internationale pour la libération des prisonniers politiques » (http://www.addameer.org), de soutenir les campagnes de boycott du BDS : http://www.bdsfrance.org

14 février
Matin
Hébron. Nous sommes accueillis par l’Association pour des échanges culturels France/Hébron. La ville de 200 000 habitants est divisée en 2 zones : H1 sous autorité palestinienne, H2 sous contrôle israélien. Nous partons visiter la vieille ville où règne une véritable situation d’Apartheid avec une implantation de colonies, des rues interdites aux palestiniens, 2/3 de la mosquée est devenue une synagogue… Il faut passer un cheik-point pour entre dans la vieille ville. Ce sont des soldats israéliens qui contrôlent l’entrée de la mosquée. Certaines rues sont couvertes de grillages pour que les Palestiniens cessent de recevoir sur la tête des détritus, bouteilles vides… Tout est fait pour que les Arabes partent, déjà 80% des maisons et des magasins sont fermés.
Un exemple de résistance : une famille palestinienne n’a plus accès à la rue où se trouve la porte de leur maison. Une solution aurait été d’ouvrir une porte de l’autre côté donnant sur un parking où ils ont accès. Ce serait accepté la situation. Ils ont opté pour une échelle leur permettant d’entrer provisoirement par la fenêtre.
L’Association qui nous guide dans la ville, nous invite à visiter un petit centre culturel pour enfants, des ateliers de peintures, un petit espace de jeux… Petit oasis.

Après-midi
Bethléem. Camp de réfugiés de Aïda collé au mur. Association culturelle Al Rowwad dirigée par Abdel Fattah Abusrour. Nous allons voir un nouveau mur qui a pour caractéristique d’avoir des portes dont certaines sont grandes ouvertes, c’est à se demander si ce genre d’édifices muraux servent vraiment à garantir une quelconque sécurité comme le prétendent les Israéliens. Notre hôte palestinien nous annonce qu’il n’a pas le droit d’être là où nous sommes car c’est un espace devenu sous contrôle israélien. Nous passons donc la porte où logiquement nous devrions déboucher sur un territoire sous contrôle palestinien. Et bien, non. Question : que sépare ce mur ? Il faut avoir des notions de surréalisme pour répondre à une telle question.
Entretien avec AbdelFattah. Il définit le projet du Centre culturel ainsi : « La belle résistance contre la laideur et la violence de l’occupation ». Il dit : « Trouver d’abord la paix en soi ». « On veut voir nos enfants grandir, s’épanouir ». Le Centre culturel Al Rowwad n’est pas pour lui un projet, mais « une mission de vie ». Les adultes sont auprès des enfants « responsables d’un modèle d’existence, de l’héritage qu’ils leur livreront ». « La Palestine n’est pas une cause humanitaire. On est pauvre, à cause de l’occupation ». « Nous voulons des partenariats, pas de charité ». « Nous ne devons faire aucun compromis sur nos valeurs, liberté, égalité… ».
Il espère la constitution d’un seul Etat (la Palestine), laïc, où chaque individu sera un citoyen comme un autre… Le peuple palestinien ne doit pas se laisser imposer un agendas par Israël, les USA, l’Europe… Il doit imposer ses propres priorités. Il pense aussi que le BDS est très important pour affirmer une solidarité internationale.

17 février
Matin
Ramallah. La délégation se rend à une réunion avec PNGO (l’équivalent du REF en Palestine), sauf Naïk et Marc qui se réunissent avec la Quattan Foundation, partenaire principales des Instants Vidéo pour l’organisation du festival (biennale) d’art vidéo et de performance /si:n/ dont la 4e édition aura lieu en juillet 2015. Est notamment émise l’idée de formaliser un lien (peut-être autour d’un thème ou d’un titre commun) entre le festival en Palestine, celui d’Alexandrie et celui de Marseille.
Le REF et PNGO décident de rédiger un communiqué commun : DÉCLARATION COMMUNE
PNGO – REF Dans le cadre d’une mission effectuée par le Réseau Euromed France (REF) du 13 au 19 avril 2014
en Palestine, les membres de la délégation REF ont constaté ce qui suit :
La situation actuelle dans les territoires palestiniens occupés connaît une aggravation de la fragmentation des territoires due à l’occupation par l’État d’Israël, ce qui a pour conséquence un accroissement de la ségrégation et de l’apartheid.
Les agriculteurs de la vallée du Jourdan, les étudiants d’Hébron, les enfants de Naplouse, les réfugiés de Aida, les citoyens de Ramallah, ont tous témoigné de leurs souffrances quotidiennes et d’un sentiment d’injustice croissant.
Le 17 février 2014, à Ramallah, une rencontre s’est tenue entre la délégation du REF et une délégation du PNGO (Palestinian Non-Governmental Organizations Network). Cette rencontre a débouché sur une déclaration commune :
1. Les deux délégations expriment leur rejet de la politique d’apartheid et de ségrégation menée par l’État d’Israël.
2. Les deux délégations soutiennent les résistances du peuple palestinien pour la réalisation de ses aspirations nationales à un État indépendant avec Jérusalem comme capitale ainsi que le droit au retour des réfugiés et le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
3. La délégation du REF s’engage à mieux faire connaître la campagne BDS et la campagne internationale pour la libération des prisonniers palestiniens.
Ramallah, 17 février 2014

18 février
Matin
Jérusalem. Après une promenade sur l’esplanade du Dôme du Rocher (sous contrôle israélien), nous visitons la vieille ville pour mesurer dans les détails l’état d’avancement de la colonisation de Jérusalem Est avec un responsable de l’association Nidal. Nous pouvons parler d’une colonisation méthodique, maison par maison, de la ville. Il n’y a plus d’unité spatiale, mais une mosaïque. Chaque espace plus ou moins totalement accaparé est gardé par des « miliciens » privés, armés, arrogants. Pour forcer les Palestiniens à partir, par exemple, ces dix derniers jours, 40 familles se sont vues l’eau coupée. Des maisons palestiniennes s’effondrent car des colons ont creusé dans les sous-sols… etc etc…

Après-midi
Nous allons à l’Ouest de Jérusalem, chez Michel Wareschawski, président du Centre d’Information Alternative (AIC), journaliste et militant pacifiste de gauche israélien. Il nous parle de la dépolitisation des jeunes palestiniens, due à la crise des partis politiques et aussi aux effets du libéralisme qui rend les gens individualistes.
Il pense que la question de un ou deux Etats n’est pas pertinente. L’idée d’un seul Etat serait l’expression d’un échec politique, car ce projet s’inscrit dans un temps très long, trop long. Une pensée politique doit travailler sur des solutions à court terme. Il considère que la 2e intifada n’est pas un soulèvement populaire, mais une réaction contre la tentative de reconquête par Israël des maigres acquis d’Oslo.
Il dit qu’aujourd’hui Israël craint de ne plus peser assez sur la situation du Moyen-Orient (depuis le Printemps arabe) et craint d’être lâché par les USA (qui donne chaque année à Israël l’équivalent de 3,5 milliards de dollars). Il pense que le BDS est une bonne initiative, mais que chacun doit le faire à sa façon, comme il peut. Et qu’il est important de poursuivre des actions de coopération sociale, culturelle, avec les Palestiniens pour les aider à tenir bon.
Il a soutenu les Mouvement des Indignés israéliens même s’ils n’ont pas traité de la question palestinienne. D’abord, parce qu’ils n’ont pas prononcé de slogans racistes et parce qu’ils ont défendu l’idée d’un Etat laïc, citoyens… Il dit que 35% des garçons ne font plus l’armée, et 70% des filles. Nous sommes surpris par ces chiffres. A vérifier.
Rencontre avec l’Association israélienne B’TSELEM

Soir
Repas avec notre chauffeur qui a souhaité nous faire rencontrer quelques amis dont l’ex-prisonnier franco-palestinien Salah Hamouri. Salah a été accusé d’avoir eu l’intention d’assassiner un rabbin, dirigeant d’un parti politique intégriste. Civil, il a été jugé par un tribunal militaire illégal qui ne pouvant apporter la moindre preuve, ni le moindre témoignage contre lui malgré la quinzaine de renvois de son procès, a imposé un odieux chantage : accepter de plaider coupable et avoir une peine de 7 ans ou être condamné à 14 ans de détention.
Salah n’a jamais reconnu les accusations portées contre lui, son avocate a accepté le marché pour lui épargner une peine très lourde. Il a été libéré un peu avant la fin de sa peine dans le cadre des négociation pour la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit retenu à Gaza par le Hamas.
Salah nous a parlé de ses conditions de détention, ainsi que celles des autres prisonniers. Il a dit combien était importante pour les détenus de recevoir des courriers de soutien du monde entier.
19 février Aéroport de Tell Aviv. Passage de la douane sans trop d’encombres, quelques fouilles de sac, des questions stupides du type quel est le nom de vos parents ? Un douanier s’inquiète du fait que j’avais dans ma valise quatre fois le même livre concernant l’artiste palestinien Bashar Alhroub. Je lui montre que j’ai écrit un texte dedans. Il me demande pourquoi je m’intéresse à l’art palestinien. Je réponds que je ne m’intéresse pas à l’art palestinien, mais à l’art en général. Il me demande pourquoi cet artiste m’intéresse. Je lui dit que c’est à cause de la façon dont il traite la lumière, le gris, le noir… Bref, une discussion qui frôle le théâtre de l’absurde !

Marc Mercier