Six films présentés au FID 2016 se sont trouvés au croisement de nos regards : courts et longs métrages moyen-orientaux et arabes, ils ont pour point commun de présenter le lieu comme porteur de mémoires, personnelles et collectives. Déambulation parmi ces œuvres, parts d’histoires.

Atlal

Ouled Allal est en ruines. Nous sommes le 19 octobre 1998 et ce village algérien est ravagé par la décennie noire. Les images, tournées au caméscope, témoignent des ravages de la guerre. Le silence est pesant.

Des années plus tard, Djamel Kerkar promène son œil et sa caméra sur Ouled Allal aujourd’hui. Atlal, ruine en arabe, c’est autant les murs en miettes que les esprits meurtris. Les bâtiments éventrés crachent des fils de fer ; les pierres, vestiges d’habitations, s’amoncellent en tas déstructurés sur lesquels courent des herbes folles. Et toujours ce calme assourdissant. Les habitants côtoient les décombres, les ruines cohabitent avec les chantiers, le passé avec le présent. Quel autre lieu à vivre pour l’homme détruit que la ville détruite ?

« En 1992, on avait 700 arbustes de pommiers « Hana ». Quand ils ont commencé à donner leurs fruits, on a tout abandonné. La tragédie est arrivée et nous sommes partis. Quand on est revenus, on a trouvé les arbres sous « le choc ». Certains étaient mourants, d’autres complètement secs. […] Donc on a décidé de les arracher et de les remplacer. Maintenant, ces 2000 arbres vont être dévorés par les flammes. Et tout ça, à cause de ces dix années noires. »

Les paroles des habitants esquissent l’époque où le conflit des hommes a brisé le cycle des saisons.

Ismyrne

Ismyrne n’existe pas. Le film de Joana Hadjithomas narre son voyage à la recherche de cette ville imaginaire, inspirée par l’ancienne cité turque Smyrne, devenue aujourd’hui Izmir. Ismyrne est l’héritage familial de Joana, légué par son grand-père. En 1922, le quartier grec de la ville est incendié par les turcs, forçant sa famille à quitter Smyrne.

Tout comme le processus photographique imprime l’image sur la pellicule sensible de l’appareil, le récit de Smyrne a laissé une trace dans la mémoire de Joana Hadjithomas, pour reprendre la métaphore que l’artiste Etel Adnan propose dans le film.

Partir sur les traces de la mémoire, collective et personnelle, une thématique récurrente dans le travail de Joana Hadjithomas et de son mari Khalil Joreige. Des créations polymorphes très marquées par les périodes d’après guerre, notamment celle de 2006 au Liban. Parce que, comme le déclarait Hadjithomas sur France Culture : « La poésie doit être invoquée pour contrer cette impression de chaos ». Les artistes en sont les émetteurs désignés. Les réalisateurs, les réceptacles des maux sociétaux.

L’encre de Chine

«  »Il n’y a pas de vide » me dis-tu. Tout est habité. Nous sommes chacun d’entre nous le lieu de passage et de nouage de quantités d’affects, d’histoires, de significations, de flux matériels qui nous excèdent. »

Ghassan Salhab, lieu de nouage. Le Sénégal, le Liban. La salle d’un café, la salle de bain. Ces films, ces sons qui l’habitent, les siens comme ceux des autres. Comment faire le portrait de soi, comment envisager les strates qui nous composent, esquisser un ensemble cohérent? En rassemblant ses strates par le montage, en les rendant perméables les unes aux autres. Le son se faufile partout: les bombes de la guerre civile du Liban retentissent alors que devant la caméra se tient un paysage calme de montagne. Les voix se mélangent, se superposent, se croisent, s’annulent parfois. Pas de lieux. Tous les lieux.

 

Sheldon, le squelette humaniste

Sheldon, un homme mort depuis 2000 ans et réduit à l’état de squelette, est ramené à la vie dans la mer noire. Sans transition, il débarque dans un magasin français, et est accueilli par Tamar, une jeune femme israélienne dont il tombe amoureux.
Sheldon, c’est une voix, un corps, des gestes. Un monstre à trois têtes: derrière son crâne nu se cachent les visages encagoulés des deux marionnettistes qui l’accompagnent dans son voyage initiatique en Occident.

C’est qu’il n’est pas aisé de présenter la société française à un homme décédé depuis longtemps : quel endroit plus approprié que le supermarché ? De rayon en rayon, Sheldon découvre le fromage, le vin et le saucisson, mais aussi les migrants anonymes au rayon boîte de conserve, les discours new age sur le bien être au rayon bio, la question de la discrimination des maghrébins dans une allée que l’on parcourt d’un pas rapide. Pas question de traiter ces sujets en profondeur: il s’agit plutôt de représenter le flux continu d’informations diffusé par les médias. Ni Tamar ni Sheldon ne s’arrêtent très longuement dans les rayons: l’heure est à la déambulation.

La tempête

La scène se passe en France, de nos jours. Dans la salle de classe, quelque chose se prépare.

« Des images sont arrivées. C’était incroyable. »

Une voix, celle de Samir El Hakim, porte le texte de Tahar Djahout, écrivain et journaliste algérien. 1956, il est enfant. Dans son village algérien arrive un camion-cinéma français et lui offre sa première rencontre avec le 7è art.

A l’image, toujours la petite école d’Angoulême. Les enfants s’affairent: ils découpent de grands morceaux de toiles occultantes et les apposent aux fenêtres. Au fur et à mesure, la salle est plongée dans l’obscurité. La projection peut commencer.

C’est un film d’archive, un journal télévisé -orientaliste jusqu’à la moelle-. On y voit des camions-cinéma, semblables à celui qu’a du connaître Tahar Djahout, entourés par une foule enthousiaste. Les camions précèdent l’arrivée de l’armée française: le cinéma devient cheval de Troie, au service des forces coloniales.

Les récits des deux projections -celle dans l’école, contemporaine, et celle dans le village algérien, il y a 50 ans- se rejoignent alors. En insérant le film d’archive dans son film, Dania Reymond se le réapproprie: d’outil de propagande, il devient instrument servant à s’interroger sur le système colonial.

The Dust Channel

Pour Roee Rosen, le réalisateur de « The Dust Channel », l’art a une dimension critique en soi, et se doit de faire son auto-critique. En tant qu’artiste, il aspire à examiner la société israélienne et ses maux, en les considérant comme des éléments actifs en lui et dans les spectateurs.

« Je crois que parce que je suis né en Israël, de nombreuses idéologies auxquelles je pourrais m’opposer au niveau conceptuel, tel que le sionisme, ont cependant constituées mon identité. […] Donc ces contradictions sont en moi, dans mon corps, dans ma conscience. »

The Dust Channel, la Chaîne de poussière, est un film opérette politique, dont les paroles chantées en russe sont librement inspirées du livret de l’aspirateur britannique le Dyson DC07. L’histoire de l’opérette, c’est celle d’un couple, propres sur eux, liant une relation ambigüe avec leur Dyson DC07 ; et au fur et à mesure que le film se déroule, une autre trame se dessine : les images du camp de Negev, viennent pointer du doigt le traitement des réfugiés par le gouvernement israélien.

The Dust Channel, c’est à la fois la chaîne de poussière qui se forme
dans le ventre transparent de l’aspirateur, et c’est également la chaîne de télévision sur laquelle sont projetées les images des réfugiés, arrivant en Israël.