seule la mer dans son infini mouvement pleure ce qu’on lui retire
A.A
Avec Philip Scheffner, pour le film Havarie
37°28.6 Nord et 0°3.8 Est, en mer Méditerranée, à quelques dizaines de miles des côtes espagnoles. Un radeau chargé d’hommes est repéré par un paquebot de croisière. Les passagers entassés sur les coursives regardent, un homme filme. C’est ce matériel vidéo de quelques minutes qui nous est montré. A la fois hors du temps, comme suspendu, et rythmé par les communications des gardes côtes et des bateaux et autres hélicoptères de secours, le temps de la prise de vue finit par rejoindre celui de l’observation réelle – 93 minutes, le temps de l’opération de sauvetage et la durée du film, dans lesquelles se déploient rien de moins que le terrorisme en Algérie dans les années 1990, le conflit irlandais et la guerre en Ukraine. Tandis que le paysage sonore, riche de ses accents et langues diverses, des souvenirs partagés comme du chant des oiseaux et du bruit de la pluie, ouvre le film sur le passé, le présent et l’avenir, on ne quitte pas des yeux le bateau à la dérive. Point sombre perdu dans le bleu du cadre dont des silhouettes se détachent indistinctement et qui porte en germe toutes les histoires – d’amour, de guerre, d’exil, comme un éternel début. Un point d’origine dont les potentialités sont toujours encore non réalisées, car suspendues dans ce temps très particulier que Philip Scheffner parvient à créer. Rarement film n’aura à ce point condensé l’espace et le temps pour donner à voir, en un geste cinématographique d’une actualité et d’une force absolue, les destins de ceux qui se croisent en Méditerranée.