Rencontre avec Kim Seob Boninsegni, artiste franco-suisse et réalisateur d’ « Occupy the pool », sélectionné en compétition internationale et en compétition pour le meilleur premier film.
« Occupy the pool », c’est l’histoire d’une errance ; celle d’un groupe de jeunes adultes, naviguant de soirée en soirée, jusqu’à l’ennui et l’épuisement. Un récit mélancolique d’une génération désoeuvrée en quête de sens, qui tente, à sa manière, de s’unir face à la torpeur.
Radio Grenouille : Quelle est la genèse de ce premier film ?
Kim Seob Boninsegni : L’idée du film m’est venue au cours de la période 2010-2012. à l’époque je réalisais la mise en scène de 3 performances chorégraphiques avec de jeunes interprètes non professionnels. À force de les côtoyer et de m’immerger dans leur quotidien, j’ai eu l’envie de réaliser un film avec eux et autour d’eux ; et illustrer le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Filmer un naufrage dans une piscine. C’est ainsi que ce film étrange a vu le jour (rires).
RG : C’est une fiction mais la frontière avec le documentaire est vite brouillée…
KSB : C’est une fiction particulière avec une trame narrative minimale. C’est vrai qu’il y a un aspect doc-fiction. Pendant une année j’ai observé ces jeunes ; leurs tics, leurs réactions, leurs désirs. je voulais vraiment qu’on soit embarqués avec eux, que ça colle le plus possible à la réalité ; à leur réalité. C’est une vision de l’intérieur, une véritable immersion.
RG : Il y a beaucoup de tristesse et de solitude dans « Occupy the pool ». Les personnages ont l’air constamment sur le fil, prêts à dériver ; en proie à une certaine torpeur. Pensez-vous que la jeunesse actuelle est fondamentalement malheureuse et isolée ?
KSB : J’ai voulu faire un film mélancolique. Je ne sais pas s’ils sont tristes eux même. Je pense que l’atmosphère est triste et que les valeurs de plans accentuent l’effet mélancolique.
Aujourd’hui on parle beaucoup de « jeunesse désoeuvrée ». Mais dans ce film je vois plutôt chez ces jeunes une tentative de reformer une communauté. C’est balbutiant mais c’est bien là. Ce sont des maillons individuels qui tentent, tant bien que mal, d’être dans le collectif. Après, malgré le ton du film, j’ai beaucoup d’espoir pour ces générations (rires).
RG : Dans ces soirées rien de bien excitant ne se passe. On dirait un cercle vicieux dont les personnages ont, au final, beaucoup de mal à sortir…
KSB : Il y a pour moi un phénomène de bulle sociale qui concerne toute la jeunesse européenne. Je les appelle les « générations électroniques ». Elles ont un rapport tronqué avec la réalité à cause des smartphones et de tout le virtuel qui les entoure. Mais ce sont des individus qui veulent se rassembler et s’échapper de cet enfermement. J’ai voulu traduire cet enfermement dans la première partie du film ; qui est comme un aquarium, et ces jeunes sont des poissons pris au piège.
RG : Autre image : celle du ballon de baudruche en forme de requin qui suit les jeunes pendant toute la première partie du film. C’est une véritable incursion surréaliste dans cet « aquarium ». Ce requin est-il une allégorie du monde prêt à « dévorer » ces jeunes générations ?
KSB : C’est une interprétation intéressante. Au départ, j’avais deux justifications à propos de ce requin. À Genève, il y a beaucoup de ballons de ce genre dans les soirées. De ce fait la première interprétation est « réaliste ». Mais c’est aussi une métaphore liée à l’histoire musicale de Genève. Les parents de ces jeunes sont de la génération des premiers squats. C’est quelque chose qui a beaucoup marqué la ville mais également plombé les générations ultérieures dans le sens où c’était un âge d’or musical et social ; et qu’il est difficile de bâtir sa propre histoire, sa propre légende après ça. Ce requin dans ce squat c’est aussi une sorte de recyclage des utopies des parents de ces jeunes générations.
RG : La musique semble être d’ailleurs le seul échappatoire de ces jeunes.
KSB : La musique prend une place très importante dans mon film. J’ai beaucoup discuté avec Gregor Schönborn alias Crowdpleaser (le compositeur de la bande son originale ndlr) pour réaliser un arrangement musical qui collait parfaitement avec l’ambiance du film. Son style à lui c’est la House, un genre musical qui est né avec ma génération mais à travers lequel beaucoup de jeunes d’aujourd’hui arrivent à se retrouver. Cette musique est clairement un échappatoire pour ces jeunes dans le film mais ce qui est paradoxal c’est que c’est une musique de plus vieux. Les seuls moments d’allégresse sont, au final, rattachés à quelque chose de plus vieux qu’eux, qui n’est pas de leur génération.
RG : Quand on regarde « Occupy the pool », on pense beaucoup aux films de Larry Clark et à la série « Skins ». Ces oeuvres font-elles partie de vos influences ?
KSB : Je n’avais pas pensé à « Skins » en réalisant le film mais c’est une série que j’ai beaucoup suivie et qui colle de près au sujet. Je suis moins bercé par l’oeuvre de Larry Clark mais plus par celle d’Harmony Korine. Avec « Occupy the pool », je voulais créer l’anti « Spring Breakers ». Mais ma référence principale reste Bresson.
RG : Enfin, pourquoi le verbe « Occupy » dans le titre ? C’est une revendication ?
KSB : Non, c’est une provocation. Ces générations qui sont nées après la chute du mur de Berlin n’ont pas la même grille de lecture idéologique que leurs ainés. Et je pense qu’il y a une résistance de la part des plus vieux à accepter ça. D’ailleurs nous avons eu des retours pour la première mondiale un peu dédaigneux vis-à-vis de cette problématique. Je n’ai pas de solution par rapport à ça ; je pense juste qu’il y a une interrogation de ce legs hérité de la fin des années 1960, de cette esthétique de la contestation. Je pense sincèrement que ces jeunes essaient de recréer quelque chose à partir de ça. Et qu’il y a de la politique en eux malgré tout ce que l’on dit.
par Julianne Paul