Écran Parallèle Dehors la danse, une proposition de films par Stéphane Bouquet.
Ce que nous donne à voir ou méditer cette programmation de film :
Le mouvement comme façon que nous avons d’organiser notre vie – La manière dont par le mouvement il est possible de construire un rapport, à l’autre ou à la ville – Des films où la caméra devient un personnage – Le devenir haptique du regard – Ce qui reste comme possibilité de déplacement après l’épuisement – Le butô …
Il y a quelques années le philosophe Jean-Luc Nancy et la chorégraphe Mathilde Monnier cosignèrent un livre intitulé Dehors la danse. Dans un échange de mail, la chorégraphe écrivait au philosophe : « C’est sans doute pour cela que ce que tu replaces comme un art du dehors reste pour nous (danseurs) comme la blessure enfouie d’une intériorité perdue ou brisée. » Pourquoi la danse serait-elle un art du dehors ? Parce que le corps n’existe qu’à s’ouvrir vers le dehors, il n’est que projection vers l’autre et les autres. Pour le dire, dans les mots de Nancy, « L’intérieur du corps n’existe pas ; il n’y a rien à y voir, rien à y chercher. Le corps est un dehors. »
Une autre façon de le dire est que les danseurs doivent apprendre à quitter leur corps privé, à abandonner leur intimité ou intériorité, leur en-dedans, pour s’ouvrir à des gestes qui contiennent l’autre ou les autres, qui les contiennent ou les incluent ou les provoquent. En tout cas, leur parlent. Tel est l’esprit de cet écran. Dehors la danse n’est pas une programmation de films de danse. Il arrive même que ça ne danse pour ainsi dire pas dans les films ici proposés, si on entend par danse, un savant agencement corporel de mouvements. Mais si on entend, en revanche, par danse cette idée que le mouvement est avant tout « une forme de vie », c’est-à-dire une façon de négocier – par le corps, par les gestes, par la peau – avec les choses, d’inventer des possibilités de vie commune, une vie pour soi et avec les autres, alors sans doute possible tous les films de l’écran dansent. Car tous ils tentent de négocier au mieux avec ce monde (notre monde, le seul monde possible) qui les entoure. Citons Jean-Pierre Rehm, qui fut l’éditeur du livre de Monnier-Nancy : « La danse exposée à son dehors, à ce qui n’est pas elle, à ce qui lui ferait obstacle, à ce qui viendrait entamer sa tentation éventuelle d’idéalité. Comme dans l’expression “dehors !”, la danse est expulsée de sa tranquillité de pratique artistique ». Expulsée d’accord, mais pour devenir quoi ? Pour devenir à sa façon, une pratique politique, c’est-à-dire une pratique de constitution du lien, du rapport, de l’entre-deux ou de l’entre-nous. Composé de quelques « classiques », Dehors la danse est surtout une sélection de films extrêmement récents. Il fut étrange – étrange et réjouissant – lors de la sélection, de constater que tant de films en passe aujourd’hui par la peau ou le corps (qui est peut-être aussi bien le corps de la caméra) pour penser la place des humains dans les lieux où nous vivons. C’est sans doute que, de toute évidence, ces lieux ne sont plus vraiment fait pour les humains et que les gestes sont un moyen efficace, peut-être pas d’apporter la solution mais au moins d’oser quelques remèdes. «Le geste ouvre la sphère de l’éthos comme la sphère la plus proprement humaine » écrivait un jour Giorgio Agamben.
Stéphane Bouquet