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imageoscarmichauxEntretien avec David SCHWARTZ, curateur du Musée de l’Image Animée (New-York), qui propose dans l’Ecran Parallèle The Exile, une sélection de films d’Oscar Micheaux.

par Emmanuel Moreira

Oscar Micheaux (1884-1951) est un des représentants les plus fascinants de l’histoire du cinéma Américain et, pourtant, l’un des moins connus. Micheaux, fils d’esclaves affranchis, a été un entrepreneur déterminé, romancier et cinéaste. Doué d’une grande ténacité, il fut à l’origine de pas moins de 45 films réalisés entre 1919 et 1948, ce qui fait de lui le plus prolifique réalisateur de films destinés exclusivement à un public noir.

Ses films reprenent les canons des genres hollywoodiens, y compris les comédies musicales, les films de gangsters, les mélodrames, ou encore les films abordant des problèmes sociaux. En y apportant toutefois quelque chose qui manquait dans les productions hollywoodiennes : une approche documentaire rare sur la vie des Afro-Américains.

Mais les films singuliers d’Oscar Micheaux révèlent la profonde ambivalence de questions comme l’assimilation et les histoires d’amour interraciales. Alors que ses personnages masculins ont tendance à être soit des crapules excentriques, soit au contraire des figures exemplaires figées dans leurs vertus, les personnages féminins apparaissent beaucoup plus complexes.

Pragmatique infatigable, Micheaux avait recours à toutes sortes d’expédients pour monter ses films. La distribution rassemblait aussi bien des acteurs professionnels que des amateurs à peine capable de mémoriser leur texte, ce qui créait un jeu étrangement convaincant. Et le montage était encore plus bizarre que le jeu d’acteur : truffé de flashbacks mystérieux, d’actions incongrues et de sauts temporels inattendus, les films d’Oscar Micheaux sont toujours fascinants et finissent par renverser la notion traditionnelle de qualité. Comme l’a écrit le cinéaste d’avant-garde Ken Jacobs en 1970, faisant l’éloge des films de Micheaux : « Là où l’art échoue, la vie éclot ». Empreints d’une texture documentaire (décors naturels, acteurs non- professionnels jouant leur propre rôle, gestes spontanés et hors du contrôle du réalisateur), ses films révélaient ce qu’aucun produit d’Hollywood n’aurait pu dire.

Micheaux est-il un génie dont les films révolutionnaires défient les conventions Hollywoodiennes pour créer une esthétique Afro-Américaine ? Ou bien un charlatan réactionnaire qui ne fait que renforcer les stéréotypes négatifs à l’encontre des noirs ? Était-il un amateur incompétent dont les films maladroits et objets de moquerie n’étaient pas assez bons pour Hollywood ? Ou plutôt un génie involontaire qui réussit à produire des films d’une incroyable inventivité formelle ? Micheaux ne devrait en réalité être ni idéalisé ni méprisé. Ses films méritent un examen attentif.

David SCHWARTZ