Les « harraga » sont des migrants clandestins qui prennent la mer depuis le Maghreb. Ce mot, originaire d’Algérie, désignent « ceux qui brûlent » les papiers, les frontières, pour rejoindre les côtes d’un « pays rêvé ».
Brûle la mer est vécu comme un poème, il inspire le poème.
Brûle la Mer donne envie d’écouter, il donne la parole et permet d’écouter. On prend la mer, bercé par les vagues de l’intime. On entre dans une histoire.
Celle de Maki Berchache, qui a réalisé le film avec Nathalie Nambot.
On entre dans DES histoires. Celles des proches de Maki, de ses amis, de ses rencontres.
On entre dans l’Histoire, en fait, au sens large, de tout émigré, de toute personne touchée par l’exil, par le départ, l’arrivée… et les désillusions qui lui leur sont liées.
On part de la révolution vers des rêves d’évolution, pleins de déceptions non voulues, de rêves vite révolus.
Brûle la Mer, c’est une histoire qui est née d’une rencontre, d’une écoute, d’une amitié.
Nathalie a rencontré Maki dans un lieu qui s’appelait « la coordination des intermittents et précaires ».
Eux arrivaient d’une révolution et se trouvaient dans ce pays rêvé, la France… A la rue, poursuivis et harcelés par la police, sans logement, sans papiers. Sans rien.
Ensemble, ils ont mené une lutte, avec des collectifs et d’autres jeunes tunisiens, pour trouver des lieux où dormir, se réunir, et vivre, tout simplement.
Nathalie reste amie avec Maki. Elle a été directement liée à son histoire, une histoire qu’on ne voit pas. Ils ont décidé de faire un film.
Une histoire qui, très naturellement, est devenue DES histoires.
Des histoires aussi communes que singulières, mises en images à travers des allers-retours Paris-Tunisie, assez abruptes mais toujours réfléchis.
On passe d’un village en bord de mer à une rue embouteillée de la capitale française, d’une toute petite maison tunisienne où dorment 8 personnes à une barre d’immeuble parisien dont on ne voit pas le bout…
La démarche permet de mettre en avant la situation à l’arrivée en France, mais aussi ce qu’on ne voit pas : l’arrière-pays, leur vie d’avant. Le chemin parcouru.
Un chemin qui est d’abord un trajet, au cours duquel ils risquent leurs vies… Pour atterrir dans un pays qui au final les rejettent, où ils ne peuvent circuler, libres, tant qu’ils n’ont pas de titre de séjour.
On sait que les étrangers qui arrivent en France ne sont pas toujours bien accueillis. On le sait, mais on ne le SENT pas forcément, de l’intérieur. Dans Brûle la Mer, on s’approprie une histoire, des histoires, leur histoire. On la vit avec eux.
Pleinement. Profondément. Violemment.
Je pense à une scène en particulier. Il est 2h du mat’, il neige, devant la sous-préfecture de Saint Denis. Il faut déposer tout un tas de paperasse, déposer sa vie sur des papiers… pour espérer avoir d’autres papiers et pouvoir vivre.
La voix off de Nathalie énumère des dizaines, voire des centaines de justificatifs, de preuves à n’en plus finir… Cartes postales, photos, attestations, inscriptions, tampons, signatures, ordonnances… Un nombre totalement délirant de preuves d’existence demandées… pour ceux qu’on appelle des « sans papiers ».
Puis il y a ces paradoxes.
Maki, qui a accueilli des touristes français chez lui, en Tunisie, pendant des années, se retrouve chez eux. Ils ne sont même pas disponibles pour un café.
Le pays rêvé devient le pays quitté. Le corps est séparé du cœur, le mental coupé en deux.
Brûler. Les flammes, l’enfer d’un voyage. Brûler la mer… Les frontières, les lois, les papiers… Plonger dans les profondeurs d’une histoire, de leurs histoires. De notre histoire.
Brûle la Mer. La première mondiale qui avait lieu ce midi à la Villa Méditerranée n’est pas vraiment la première, puisque le film a déjà été projeté une fois, à la prison des Beaumettes.
Symboliquement, c’est assez intéressant de le mentionner puisque c’est un film qui se doit, justement, de voyager, de traverser les espaces, d’être projeté, aussi, en dehors des endroits qui lui sont dédiés, de dépasser les frontières… Ces frontières qui sont au cœur du film et qui ne résistent pas à son esthétique ravageuse. Brûlante. Incandescente.
Ces frontières, parfois mentales, qui emprisonnent les regards sur l’immigration et qui disparaitront surement quand vous irez voir le film – je vous le conseille – lundi 7 juillet, à 16h45, au Cinéma Variétés 1.
« Brûle la Mer » (2014): Réalisé par Nathalie Nambot & Maki Berchache, produit par les films du Bilboquet.
Réalisation : Clotilde Penet